Limace de mer de l'espèce Elysia marginata

En science, la symétrie est un concept utilisé plus fréquemment que la plupart des gens l'imaginent. La symétrie concerne beaucoup moins la forme des objets ou des organismes que les phénomènes et les lois qui les régulent. Elle intervient, entre autres, en mathématiques, en chimie, en physique théorique, mais aussi en biologie.

Un des phénomènes biologiques pour lequel on s'attendrait le moins à parler de symétrie est celui de la reproduction, plus particulièrement en ce qui a trait aux générations qui en sont issues. Qui dit symétrie dit aussi asymétrie possible.

La remise en question de l'absence de vieillissement chez les unicellulaires

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On a longtemps pensé qu'un organisme unicellulaire qui se divisait pour se reproduire donnait forcément naissance à deux cellules filles identiques et que, de ce fait, cette reproduction ne pouvait que se poursuivre sans altération aucune pour les générations suivantes. À partir de la fin des années 1980, une série d'expériences a été menée par Michal Jazwinsky avec la levure du boulanger (Saccharomyces cerevisiae).[1] Celle-ci a la particularité de se reproduire non pas par scission, mais par bourgeonnement. Cette caractéristique offre la possibilité de distinguer une cellule fille d'une cellule mère à chaque cycle de la reproduction. Jazwinsky s'est aperçu qu'une cellule mère ne pouvait engendrer qu'un certain nombre de cellules filles après quoi, elle mourait au bout d'un maximum de quelques jours. Il venait ainsi de mettre au jour le phénomène du vieillissement chez un organisme unicellulaire.

Ce phénomène fait intervenir une asymétrie à l'échelle moléculaire entre la cellule mère et la cellule fille. À chaque cycle, en plus de la division de ses chromosomes, de petites copies supplémentaires de son ADN sont produites sous forme circulaire. Plutôt que d'être réparties uniformément entre les deux cellules, mère et fille, ces copies ne sont conservées que dans la cellule mère. Cette accumulation jouerait vraisemblablement un rôle dans son vieillissement.

Les propriétés d'un petit ver...

Quand est apparue l'asymétrie dans le domaine du vivant? Quelle est l'importance du rôle qu'a pu jouer cette brisure de symétrie pour la complexification de la vie? On sait que l'asymétrie se retrouve à divers niveaux en biologie. La planaire est un ver plat. Lorsqu'on le coupe en deux, les deux moitiés régénèrent un ver complet : la tête régénère une queue et la partie caudale régénère une tête. On trouve ici une symétrie entre la partie arrière et la partie avant de cet organisme. Si on le soumet à un apprentissage par réflexe conditionné en associant un choc électrique à une vive lumière, et qu'on le sectionne à nouveau en deux, on observe que les deux parties ont régénéré deux organismes qui conservent la mémoire de cet apprentissage. Il se fait plus rapidement qu'avec des individus non entraînés. Contre toute attente, la symétrie est donc maintenue là encore entre les parties avant et arrière de la planaire. Il est possible cependant d'observer une asymétrie pour ce phénomène en réalisant la même expérience, à la différence que les deux parties du ver se régénèrent cette fois dans une solution de ribonucléase, une enzyme qui détruit l'ARN. On constate dans ce cas que l'organisme issu de la partie arrière ne conserve plus aucune information du conditionnement antérieur à la différence du nouvel individu provenant de la partie avant.

...et celles de limaces de mer

Une équipe japonaise a découvert chez deux espèces de limaces de mer, Elysia marginata et Elysia atroviridis, un phénomène jamais observé jusqu'ici : ces limaces ont la capacité de séparer leur tête de leur corps et de régénérer le reste de leur corps à partir de leur tête. L'autotomie est le fait, pour un animal, de se séparer volontairement d'une partie de son corps. Le phénomène se rencontre chez certaines espèces de lézards et de salamandres mais, dans ce cas, il s'agit d'un membre ou de la queue, et non du corps séparé de la tête. À la différence de la planaire, la régénération n'est pas symétrique, seule la tête régénère le reste du corps; elle n'est pas régénérée par cette partie qui meurt après la séparation. Des recherches plus poussées ont montré que ces deux espèces adopteraient cette stratégie, en partie du moins, pour se débarrasser de parasites. [3] Ces deux espèces présentent une autre caractéristique fascinante : elles intègrent dans leur organisme des chloroplastes issus des algues dont elles se nourrissent afin de pouvoir effectuer, comme les plantes, la photosynthèse [3] phénomène appelé kleptoplastie.  

Asymétrie chez les insectes

On rencontre aussi l'asymétrie chez plusieurs espèces avec le dimorphisme sexuel. L'un des écarts les plus frappants concernant la taille se rencontre chez certaines espèces d'araignées. L'asymétrie entre les sexes d'une même espèce s'observe également en termes de durée de vie. Chez les insectes sociaux, ce déséquilibre de la longévité ne se rencontre pas seulement entre les sexes. Chez plusieurs espèces d'abeilles, de termites et de fourmis, la reine peut vivre jusqu'à quelques dizaines d'années alors que les ouvrières et les mâles ne vivent que quelques mois. Du coup, le nombre de générations n'est pas le même si on considère la lignée du point de vue maternel (deux générations : la reine et ses descendants) que du point de vue paternel (jusqu'à plusieurs générations).

Le vivant est si complexe que nous ne pouvons qu'effleurer ici l'opposition symétrie | asymétrie et sans doute que bien d'autres observations dans ce domaine attendent d'être faites.

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