
L'occasion m'est donnée ici de revenir sur un concept que j'avais proposé il y a trois ans, celui d'intelligence collective transgénérationnelle. Cette forme d'intelligence, qu'on aurait pu croire réservée à notre espèce, faisait son entrée dans le monde aviaire. Elle nécessite la collaboration de deux, trois, voire plusieurs générations. En cela, on pouvait penser, au départ, qu'elle devait nécessairement faire appel au langage humain, seule forme de communication suffisamment élaborée pour transmettre les informations nécessaires à la réalisation de tels projets s'étalant dans le temps. L'exemple du pic glandivore a montré que cette ligne de démarcation n'était pas aussi tranchée.
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Jusqu'à aujourd'hui, à part des exemples de coopérations dans l'élevage d'oisillons, mais qui n'implique que deux générations d'oiseaux, aucun autre exemple de cette intelligence collective dans le monde animal ne m'était apparu. Pourtant, nous pouvions nous dire que, si elle est présente chez au moins une espèce d'oiseau, pourquoi ne pourrait-elle pas l'être chez nos plus proches cousins parmi les grands singes. Et ce sont justement les chimpanzés, plus précisément certaines populations, qui nous font voir que cette intelligence collective transgénérationnelle ou intergénérationnelle peut se décliner en fait sur un autre mode que celui abordé précédemment.
Ce que fait remarquer une étude, parue l'automne passé dans Science, c'est le lien entre la complexification de l'utilisation d'outils et une forme de mobilité sociale parmi certaines populations de chimpanzés. Chez ces populations, les femelles adultes doivent quitter leur groupe d'origine pour être acceptées dans un autre. Elles apportent un savoir-faire et le transmettent à la génération suivante. Celle-ci l'adapte à son milieu, lui apporte des modifications et l'enrichit. D'une génération à l'autre, ce savoir-faire dans l'utilisation d'outils se complexifie, résultat d'une accumulation de connaissances. Ces observations traduisent à coup sûr la manifestation d'une intelligence collective intergénérationnelle. On remarques deux différences notables chez nos cousins les grands singes par rapport à notre pic glandivore : d’une part, l'interaction se présente d'un individu à un autre (la mère, ou un autre adulte, montre une technique à un jeune chimpanzé) et, d’autre part, il y a une accumulation de savoir-faire alors que chez les pics, ces deux caractéristiques sont absentes. Il n'en demeure pas moins qu'une forme de collaboration entre deux générations ou plus est présente chez ces deux espèces.
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Notre espèce, quant à elle, a suivi un cheminement évolutif qui lui a fait adopter ces deux modes de collaboration, diversifiant de la sorte les formes d'expression de son intelligence collective. Et ce n'était sans doute qu'un début.