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L’image circule depuis quelque temps sur les réseaux sociaux. On y voit 10 petits personnages dessinés par des enfants. Dans la rangée du haut, ils sont détaillés. Ils ont des cheveux et même des vêtements parfois. Dans la rangée du bas, on dirait presque des bonhommes allumettes. La différence est frappante. C’est d’ailleurs pourquoi le texte qui accompagne l’image est préoccupant. Les dessins du haut auraient été réalisés par des enfants qui écoutent moins d’une heure de télévision par jour alors que les autres sont les œuvres d’enfants qui écoutent plus de 3 heures quotidiennement.

 

Au début janvier, l’Inspecteur viral du journal Métro proposait dix questions pour débusquer les articles scientifiques bidons. La mystérieuse image sur les enfants et la télé ne passe malheureusement pas le test. N’écoutant que mon courage (et probablement ma curiosité et mon scepticisme), je suis donc partie à la recherche d’informations pour tenter de trouver des réponses et déterminer si la télé tue vraiment la créativité des tout-petits.

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1) L’article parle de découvertes intéressantes ou d’un remède miracle, mais cite-t-il une ou des études scientifiques ? En général, très peu d’informations sont disponibles sur l’image. À la limite, certaines versions indiquent « Étude de l’INSERM sur l’impact de la télévision sur les enfants ».

2) Le reportage fait mention d’une étude. Est-ce que l’étude a été publiée dans un journal scientifique reconnu ? À partir de l’image elle-même, il n’est pas possible de savoir si cette étude a été publiée dans une revue scientifique digne de ce nom. En faisant un peu de recherche, on remarque qu’elle semble avoir été popularisée par le Dr Michel Desmurget dans son livre TV Lobotomie. Ce dernier est un docteur en neurosciences à l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (INSERM). Il n’est toutefois pas celui qui a réalisé la recherche. En fouillant un peu, on constate en effet que l’image est en fait une portion de la figure 1 d’un article publié par un médecin allemand, Peter Winterstein. Ses travaux ont d’abord été publiés en 2006 dans le journal KINDER — UND JUGENDARZT, le journal de l’association professionnelle des médecins pour enfants et adolescents en Allemagne. Selon le site Pubmed, l’étude aurait été republiée en 2015 dans le journal Kinderkrankenschwester, le Journal de la santé et des soins infirmiers pédiatriques.

3) De quel genre d’étude parle-t-on dans l’article ? Il s’agit d’une étude d’observation réalisée sur 1859 enfants âgés de 5 à 6 ans en 2004 et 2005. L’étude ne spécifie pas comment les enfants ont été recrutés ni le milieu social dont ils sont issus.

4) Est-ce que les chercheurs qui ont réalisé l’étude sont cités dans l’article ? Le Dr Peter Winsterstein est rarement cité en lien avec cette étude. Il a toutefois accordé une entrevue au journal allemand Die Welt en avril 2006.

5) Si on cite d’autres chercheurs qui n’ont pas participé à l’étude, que disent ceux-ci de l’étude? À l’exception du Dr Desmurget qui cite l’étude dans son livre et qui y voit là une preuve que la télé abrutit nos enfants, je n’ai pas pu trouver d’experts qui se sont prononcés à ce sujet.

6) Comment a été réalisée l’étude ? La méthodologie est-elle décrite dans l’article ? L’image ne représente en fait qu’une très petite partie de la véritable expérimentation. Les chercheurs ont demandé aux 1859 participants de dessiner une personne. Les chercheurs ont ensuite évalué chaque dessin selon des critères très précis comme si les yeux sont représentés par un simple point, si les bras ont un double contour ou si des pieds ont été dessinés. Ils ont ainsi pu donner un score à chaque dessin. Par ailleurs, ils ont demandé aux parents de les informer sur les habitudes télévisuelles des enfants et sur leur exposition à la cigarette. Les tout-petits pour qui ces informations n’étaient pas disponibles ont été exclus de l’étude. Pour le volet télévision de la recherche, c’est donc 1161 enfants qui ont été étudiés. D’après les données présentées dans l’article, 579 enfants écoutaient moins de 60 minutes de télévision par jour et 66, plus de trois heures. Bien que leurs dessins ne soient pas représentés dans l’image, l’étude a aussi évalué 404 enfants qui regardaient entre 1 heure et 2 heures de télévision et 112 enfants qui en écoutaient entre 2 et 3 heures. L’étude ne fournit aucune autre donnée sur les habitudes de vie des enfants étudiés. L’article ne mentionne pas non plus sur quelle base les dessins de la figure 1 ont été sélectionnés pour servir d’exemple.

7) Est-ce que l’article parle d’une découverte scientifique ? Bien que les risques associés à la télévision soient bien connus, les résultats tels que présentés par l’image semblent spectaculaires. Du jamais vu !

8) Si l’article parle des effets potentiels positifs ou négatifs d’une substance sur la santé des humains, est-ce que l’étude citée a été réalisée sur des humains ? Oui, là-dessus, il n’y a aucun doute.

9) Est-ce que la méthodologie correspond à un usage normal de la substance étudiée ? Il faut en effet rappeler que les dessins si inquiétants ont été réalisés par des enfants qui écoutent plus de 3 heures de télé par jour. Dans l’étude, c’est à peine 6 % des enfants qui entraient dans cette catégorie. En fait, le temps moyen passé devant la télévision dans l’étude était de 62 minutes. Si on compare le score obtenu entre les enfants qui passaient moins de 1 heure devant la télévision à ceux qui passaient entre 1 et 2 heures, la différence est plutôt faible. On passe en effet de 10,4 à 10,1. À titre de comparaison, les enfants qui étaient exposés à plus de 3 heures avaient des scores qui tournaient autour de 6,4.

10) Un chercheur ou un inventeur évoque un complot de l’establishment scientifique ou des grandes compagnies, qui empêcherait sa brillante découverte de percer le marché. Les résultats de ses expériences ont-ils pu être reproduits ? À ma connaissance, aucune autre expérience de ce genre n’a été réalisée.

D’après les critères de l’Inspecteur viral, la méfiance semble donc être de rigueur devant cette étude et ses résultats si frappants. Sans nécessairement les qualifier de bidon, les travaux du Dr Winsterstein comportent certaines faiblesses qui méritent d’être soulignées. Cependant, le plus gros problème avec l’image qui se répand si allègrement sur les médias sociaux, c’est qu’elle manque cruellement de contexte. En la partageant ainsi sans poser de question, nous contribuons un peu à augmenter la désinformation qui circule parfois sur Internet. Pensez-y la prochaine fois que votre indignation vous poussera à cliquer partager.

- Ce billet a également été publié sur le site Maman Éprouvette.

 

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