« Le caractère compétitif du sapin baumier lui permet de se maintenir au nord de sa zone de distribution. Il pousse plus vite et est moins exigeant dans un milieu qui lui convient moins », explique Yassine Messaoud, doctorant de l’Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue (UQAT). Lors de son doctorat en science de l‘environnement, le jeune chercheur s’est intéressé aux facteurs et aux mécanismes soutenant l’emplacement de cette zone de transition, l’écotone boréal. Sa thèse a engendré deux récentes publications scientifiques et devrait produire encore deux autres articles.
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Frontière naturelle
L’écotone de la forêt boréale constitue la zone de transition entre la forêt mixte du Sud, où l’on trouve le sapin baumier, l’épinette blanche et le bouleau blanc, et la forêt nordique où domine l’épinette noire. Peu de chercheurs se sont intéressés à cette zone frontière où change la dominance d’une espèce.
« Le climat, le facteur principal, n’explique pas tout. Il existe un ensemble de conditions écologiques capables d’affecter l’emplacement de cet écotone », relève Yassine Messaoud. Climat, types de sols, humidité, altitudes élevées, fortes pentes, ces facteurs positifs n’expliqueraient qu’en partie — entre 34 % et 42 % — l’emplacement nordique des petites colonies de forêt mixte, communément appelées « poches mixtes » par le chercheur, dominées par le sapin baumier. Les conditions idéales à la colonisation massive du sapin au nord du 49e parallèle s’avèrent moins abondantes. La majeure partie de cette colonisation du sapin au nord de l’écotone reste inexpliquée. Elle serait liée à l’histoire postglaciaire de la forêt, pense le chercheur.
L’histoire de la forêt
Après le retrait des glaciers d’Abitibi-Témiscamingue, il y a près de 8 000 ans, la mer intérieure constituée des lacs Barlow et Ojibway, se vidange en laissant une couche riche de sédiments. L’épinette noire sera la première à coloniser les nouveaux sites. Mais lors du réchauffement, survenu il y a 6 000 ans, le sapin et le pin rouge font leur apparition dans la zone nordique. Des poches mixtes se seraient probablement maintenues depuis. « Le patron spatial de distribution des espèces n’explique pas le phénomène de débordement, plus élevé au sud qu’au nord. L’abondance de petites colonies, plus nombreuses que les sites propices, témoigne de cette histoire postglaciaire », soutient Yassine Messaoud.
La combativité du sapin baumier serait attribuable en partie à son potentiel productif dans les sites moins propices. Ce sapin possède de grosses graines, ce qui est un désavantage pour la dispersion, mais un avantage pour la germination sur les sites moins favorables. Sa grande tolérance à l’ombre des sous-bois lors de la croissance lui assure également une bonne reproduction au sein de sites peu ouverts et donc moins accueillants.
Alors qu’il connaît plus de mortalité et moins de régénération au nord de l’écotone, le sapin baumier se maintient donc exceptionnellement bien dans les poches mixtes. « Elles se purifient avec le temps. Cela devient presque de pures sapinières », relève le chercheur. Au sud comme au nord, le vainqueur n’est pas toujours celui qu’on croit !
Références
« Ecological factors explaining the location of the boundary between the mixedwood and coniferous bioclimatic zones in the boreal biome of eastern North America », par Yassine Messaoud , Yves Bergeron et Alain Leduc publié dans Global Ecology and Biogeography, (2007) 16, 90–102
“Reproductive potential of Balsam Fir (Abies balsamea), White spruce (Picea glauca) and Black Spruce (P. mariana) at the Ecotone between Mixedwood and Coniferous Forests in the Boreal Zone of Western Quebec”, par Yassine Messaoud , Yves Bergeron et Hugo Asselin publié dans l’American Journal of Botany 94(5): 746–754. 2007.