Récemment, à l’issue du Conseil des ministres du gouvernement Trudeau, a été annoncé le nom de la nouvelle ministre de la santé du Canada - Jane Philpott. Me Jean-Pierre Ménard saura ainsi à qui adresser une nouvelle lettre sollicitant l’intervention du fédéral dans la question du règlement des frais accessoires au Québec et considérant les infractions à la Loi sur la santé qu’ils constituent. Ça n’est pas sa première lettre, il avait déjà écrit en juin dernier à Rona Ambrose alors Ministre de la santé du gouvernement Harper.
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Si nous avons tous d’autres choses à faire que de rappeler aux autorités politiques le respect de leurs obligations fondamentales – faire respecter les lois dont ils ont la charge – il reste que, rendus là, comme dans une salle d’urgence, on ne regarde plus à la fatigue. Alors Jean-Pierre Ménard s’y attèle ici et expose sa critique de son point de vue de juriste.
« La loi prévoit que les médecins qui reçoivent une rémunération de l’assurance maladie n’ont pas le droit de charger d’autres frais à leurs patients. C’est important de comprendre ça, parce que c’est un des fondements, un des piliers de notre système de santé lorsqu’on a décidé de le faire prendre en charge par l’État au début des années 70… Et ce système, on l’a établit sur le principe que le seul critère d’accès aux soins serait l’urgence et la gravité de la maladie et non la capacité de payer… C’était important…
Tout ça s’inscrivait dans un geste de solidarité sociale fort, il s’agissait de permettre à tout le monde, d’avoir accès aux soins de santé et cela en le payant directement à même nos impôts : autrement dit que les impôts de la collectivité servent à soigner la collectivité... Ce principe là, on en avait fait une des cinq conditions du financement du fédéral aux systèmes de santé provinciaux - ainsi, l’article 7 de la Loi canadienne sur la santé détaille les cinq principes qui fonde le système de santé : (1) la gestion publique; (2) l’intégralité; (3) l’universalité; (4) la transférabilité; et (5) l’accessibilité.
Essentiellement, les frais accessoires renvoient à toutes sortes de processus par lesquels les médecins ajoutent des frais ou perçoivent des frais des patients au delà de ce que la loi leur permet de percevoir… On peut dire qu’actuellement, il y a une prolifération des pratiques de ce genre qui contreviennent directement à la Loi canadienne sur la santé, à la Loi sur l’assurance maladie, aux ententes entre le gouvernement et les fédérations syndicales, aux codes de déontologie des médecins, etc. ».
Pratiques donc parfaitement illégales qui épuisent les ressources des systèmes publics de santé provinciaux canadiens et menacent l’accès aux soins. Ça n’a rien d’accessoire.
Le droit n’est pas naïf et anticipe qu’on le contrevienne. La Loi sur la santé prévoit ainsi de retenir des sommes dues au titre de la contribution fédérale dans le cas où le système de santé d’une province ne répondrait pas aux cinq critères énoncés à l’article 7 de cette Loi :
« (…) Si une province contrevient à un des cinq principes fondamentaux de la Loi sur la santé, le fédéral peut retenir [dans le cas des frais accessoires] le montant de la surfacturation qu’on a laissé les médecins réclamer. La loi est donc très, très claire : il n’y a aucun moyen par lequel le médecin peut percevoir autre que chose que ce qu’il reçoit par l’assurance maladie. Pour les services rendus hors établissements, la rémunération qui est prévue pour les médecins est déjà supérieure au cout réel de chaque acte pour permettre de couvrir effectivement les frais de cliniques des médecins : les loyers, les secrétaires, leur équipement etc. Les médecins se font donc en fait payer deux fois quand ils facturent des frais par dessus ce qui est déjà prévu par la loi ».
La critique de ces frais, portée par de nombreux experts, médecins, infirmières, avocats et que rejoignent quelques journalistes, ne se limite donc pas à une posture morale qui viserait à limiter le rapport entrepreneurial de la médecine à sa mission. Elle porte sur le caractère frauduleux de ces pratiques brigandes qui permettent à des médecins de se faire payer « des deux côtés de la clôture ».
Il reste que l’éthique et le droit sont indissociables, l’un donnant forme à l’autre et que la fraude est d’autant plus inacceptable qu’elle porte sur un territoire de nécessité fondamentale où peuvent s’exprimer les plus grandes vulnérabilités.
« Il faut regarder à qui toutes ces choses là profitent… et ça profite essentiellement à tous ceux qui veulent tirer le plus d’argent du système de santé ; ça ouvre la porte à la médecine bizness, à une prédation du système… ces médecins là se servent des deux cotés de la clôture alors que la loi n’autorise qu’un seul coté. Évidemment, ce que ça fait c’est que ça favorise un délestage des hôpitaux vers les cliniques privées et ça désarticule toutes sortes de choses dans le système de santé ; ça favorise le fait que les hôpitaux vont arrêter de développer des soins nécessaires pour délester vers les cliniques privées…
Les médecins eux mêmes vont nous dire : ‘y a plein de gens qui nous demandent… et je leur dis -moi je peux vous voir ici dans trois mois, mais si vous venez me voir à la clinique je peux vous voir la semaine prochaine’. Mais évidemment les gens veulent être traités… Alors, nous sommes dans une situation où il y a un grand nombre de médecins qui sont en conflits d’intérêts directs avec ça… On ne se rend pas compte des conséquences de ce qu’on fait là, c’est extrêmement grave. »
La question de ces frais n’est ni nouvelle ni spécifique au Québec, qui court au Canada au moins depuis le milieu des années 90. Elle s’accompagne toutefois depuis les dernières années, selon Me Ménard, d’un relâchement marqué de la volonté de faire respecter la loi se traduisant par une complaisance dangereuse à l’égard de ces pratiques de surfacturation, et ce tant au fédéral qu’au provincial. Le ministre de la santé et des services sociaux du Québec a cependant franchi une ligne en faisant adopter le mois dernier des amendements à la Loi sur l’assurance maladie qui autorisent le règlement de ces doubles frais.
Ce dernier clou, le ministre le plante, sans que ne soit ouvert aucun débat public, et le justifie à la fois comme une nécessité – le service public n’aurait pas les moyens de rapatrier ces soins qu’il n’assume plus mais qu’il sous-traite au prix fort – et comme un arrangement quasi accessoire justement – il y aurait une « acceptabilité sociale » de ces frais qui en justifierait la légalisation. Dans tous les cas, nous n’aurions pas grand chose à dire et encore moins à penser de ce qui constitue pourtant une brèche majeure aux principes d’accessibilité aux soins.
C’est justement suite à l’annonce, le 18 juin 2015, faite par le ministre Barrette de ces modifications à la Loi sur l’assurance maladie du Québec, qui viseraient non à interdire les frais accessoires mais à les encadrer que Me Ménard a commencé à travailler à l’élaboration d’une opinion juridique solide pour soutenir son interpellation lancée au fédéral. La lettre est exhaustive qui se charge de faire un état du droit en la matière.
Ce texte a par ailleurs été abondamment commenté à la Commission parlementaire chargée d’examiner le projet de loi 20 et devant répondre des amendements de Barrette sur les frais accessoires. Personne ne l’a contredit, pas même le ministre qui passe en force en décrétant l’acceptabilité sociale d’un projet n’ayant jamais été débattu publiquement.
Le silence social n’est pas un consentement, il est plutôt le symptôme d’un sentiment d'impuissance dans un contexte où le système de soins apparait dans une impasse. Il traduit plus un désarroi qu’une acceptation. Espérons que les interpellations qui commencent à se faire entendre portent aux oreilles du nouveau gouvernement fédéral pour qu’il mette un terme à ce démantèlement organisé.