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C’est à la fois courageux et quelque peu prétentieux, d’être présenté comme l’expert. Celui qui vient expliquer en des phrases simples et claires des notions scientifiques et techniques parfois complexes qui nécessiteraient normalement toute une série de nuances de gris avec des mises en garde du genre : «dans l’état actuel de nos connaissances», ou encore «plusieurs experts s’accordent à dire»...

par Émilien Pelletier, professeur associé, Institut des sciences de la mer, Université du Québec à Rimouski.

Cependant, dans une interview télé de trois minutes au bulletin de nouvelles ou même dans un entretien de 8 ou 10 minutes dans une émission d’affaires publiques, on n’a pas le temps pour les si et les peut-être, les modèles probabilistes et les écoles de pensée. Il faut rapidement organiser sa propre pensée, retenir deux ou trois éléments cruciaux qui puissent répondre au mieux aux questions posées et les formuler aussi simplement que possible. Et surtout, éviter le jargon "technoscientifique". D’ailleurs, le jargon disciplinaire ne sert qu’à jeter de la poudre aux yeux des auditeurs et des savants collègues qui sont à l’écoute! 

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Avec le temps, je trouve le rôle d’expert scientifique auprès des médias traditionnels de plus en plus important, mais aussi de plus en plus stressant à cause de la prolifération des sources d’information souvent contradictoires. À l’époque où j’ai commencé à accepter de répondre aux journalistes et chroniqueurs, il y a plus de 30 ans, il n’y avait que bien peu de mes collègues qui acceptaient d’en faire autant. Pire encore, bon nombre d’entre eux considéraient qu’il s’agissait d’une certaine forme de prostitution de la science.

Mais les choses évoluent et il est maintenant bien vu des conseils et fonds subventionnaires que les chercheurs aillent vers le grand public pour faire connaître leurs travaux et leurs découvertes. On s’attend aussi à ce que les scientifiques prennent position dans plusieurs débats publics tout en gardant une certaine neutralité académique. Tâche difficile, s’il en est!

Selon le sujet traité, l’expert scientifique peut alarmer ou rassurer l’auditoire. Il peut, sans le vouloir, servir la cause d’un parti politique ou d’un groupe d’activistes. L’expert scientifique peut aussi se voir confronté à une opinion publique hostile (surtout sur les médias sociaux) qui véhicule souvent des mythes urbains, diverses théories du complot ou même des croyances religieuses. L’expert scientifique peut aussi, tout simplement, ignorer certains faits liés aux événements qu’il commente et formuler une réponse inexacte ou inappropriée en toute bonne foi. Sa crédibilité repose à la fois sur son expérience, sa notoriété et surtout sa neutralité quant au contexte social, économique et avant tout politique dans lequel il doit naviguer. Ce n’est pas non plus un robot encyclopédique qui crachote quelques données scientifiques à odeur de moisi. Le scientifique n’est pas un être dénué de sentiments, il peut faire preuve d’empathie envers les populations et individus touchés par une catastrophe naturelle ou un accident meurtrier.

Pour illustrer ce propos, je garderai toujours un souvenir fétide de l’affaire du déversement des égouts de Montréal dans le Saint-Laurent en novembre 2015, surnommé le «flushgate» par les médias. C’est un cas d’espèce qui a fait le tour du monde et qui devrait être analysé par tous les étudiants en journalisme scientifique. C’est un cas de dérapage médiatique à saveur politico-scientifique comme on en voit rarement. L’événement en lui-même n’était pas banal, mais l’ampleur du scandale a dépassé largement la tribune des sciences environnementales qui aurait dû normalement guider la réflexion des commentateurs en tous genres et surtout l’action des politiciens.

Il y avait là une notion de «gros bon sens» et d’acceptabilité sociale qui ne sont pas incompatibles avec la science, bien au contraire. Il n’était pas acceptable pour l’honnête citoyen payeur de taxes que des eaux urbaines non-traitées soient déversées dans le fleuve (même si la chose avait pu se faire auparavant sans que personne n’en soit alarmé). Mais les conséquences environnementales d’un tel geste n’avaient pas la portée catastrophique présentée par des observateurs mal informés des données physiques, chimiques et biologiques. Le piège était grand ouvert pour l’expert scientifique! S’il affirme que la dilution suffira à solutionner rapidement le problème, alors on le croira complice d’une administration municipale négligente. Au contraire, s’il crie au meurtre environnemental du fleuve Saint-Laurent, on l’associera aux politiciens alarmistes et aux activistes de gauche. La ligne peut être bien mince…

Les aléas de l’expertise scientifique dans les médias sont aussi le lot des journalistes scientifiques que nous formons et dont nous avons tant besoin dans nos salles de nouvelles et sur nos médias sociaux. La prolifération de nouvelles faussement scientifiques, basées sur des données invérifiables et des interprétations contestables, place l’information scientifique dans une crise identitaire sans précédent. Personne ne veut devenir la police des sciences dans les médias, mais une collaboration soutenue entre les experts appelés à commenter l’actualité et des journalistes scientifiques formés à la rigueur autant journalistique que scientifique devient, dans une société toujours plus complexe, un gage d’intégrité et de rigueur que la population est en droit d’attendre des médias.

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