Les grands méchants éditeurs ?
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Si de grosses entreprises commerciales comme Elsevier, Springer ou Wiley-Blackwell ont ensuite racheté un certain nombre de titres de revue, « L’édition scientifique est d’abord née au sein des sociétés savantes » faisait remarquer Bart Van Tiggelen, physicien, président du comité de publication de la SFP et membre du conseil d’administration d’EDP Sciences. Le monopole de certaines de ces maisons d’édition a ainsi grandi avec leur influence et leur prestige jusqu’à ce que la publication d’un article dans ces revues devienne un critère quasi obligatoire pour l’obtention de postes académiques.
Dans les discussions concernant l’Open Access, les éditeurs jouent le rôle du grand méchant loup. En réalité, ce sont les coûts exorbitants de certaines publications et les politiques de monopole de certaines grandes revues qui sont essentiellement visées par les critiques. La dénonciation de pratiques douteuses a par ailleurs éclaboussé les autres maisons d’édition. Les grands éditeurs scientifiques ont ruiné le business des petites maisons : ils attirent à eux les publications les plus stratégiques pour la carrière des chercheurs et l’augmentation de leurs prix des abonnements a contraint plus d’une bibliothèque académique à se désabonner des revues de niches qui s’adressent à un nombre restreint de lecteurs.
Une plus grande légitimité des éditeurs de société savante
Jean-Marc Quilbé, président d’EDP-Sciences, une maison d’édition majoritairement détenue par la Société Française de Physique) et Jean Daillant, physicien au CEA et membre du comité de pilotage d’EPJ représentaient les éditeurs lors du mini-colloque sur l’Edition Scientifique du Congrès de la SFP. Leur constat était clair. Les petites maisons d’édition sont en grande difficulté financière. Faut-il pour autant s’en préoccuper répondent certains ? Si oui, comment établir un système dans lequel les petites structures d’édition ne soient pas constamment en train de lutter pour leur survie ? Quel rôle jouent-elles dans la transition vers l’Open Access ?
Bart van Tiggelen soulignait que « La Commission Européenne soutient l’implication d’éditeurs professionnels dans le processus » car, grâce au peer-review (révision des textes par les pairs), ils garantissent la qualité des articles. C’est un filtre de qualité qui est parfois mis en défaut mais qui fonctionne la plupart du temps. Jean‐Marc Quilbé, d’EDP Sciences, ajoutait que « les sociétés savantes donnent une vraie caution morale. Elles sont un vrai « plus » pour un éditeur. Il semble difficile de faire une revue en dehors des sociétés savantes. » (extrait du compte-rendu de la table ronde)
Pallier au manque de financement
L’édition tout comme la presse souffrent depuis longtemps déjà de modes de financement précaires. Pour le moment, aucun modèle commercial n’a réussi à remplacer le soutien financier des investisseurs, du mécénat ou de l’Etat. Aujourd'hui, les sociétés savantes peuvent-elles soutenir les coûts des éditeurs ? « En discutant avec Springer, on voit bien que l’idéal pour que l’Open Access Gold fonctionne est une discussion avec les institutions pour un financement direct des revues, » confirme Jean Daillant. « Mais EDP Sciences et les éditeurs français manquent de soutien des institutions […]. La France, [contrairement à la Grande-Bretagne], est importatrice nette d’information scientifique et souhaite avant tout réduire le coût de ses achats à l’international. Elle va ainsi essayer de produire elle‐même sa propre information pour son propre usage. »
Maintenir les éditeurs scientifiques en vie
Alors que de nombreux États soutiennent plutôt la voie verte, le Royaume-Uni a choisi la voie de l’Open Access Gold. « L'Angleterre possède une grosse industrie de la publication scientifique qu'elle souhaite préserver, » affirmait un participant.
En effet, le Green Open Access, ou utilisation d’archives institutionnelles, court-circuite la distribution commerciale en donnant l’accès aux publications. Les éditeurs et tout le système d’édition devront donc s’adapter à terme. « C’est là qu’intervient la période d’embargo qui peut préserver l’éditeur, notamment en SHS, » modère Christine Berthaud, directrice du CCSD. Dans un premier temps après la publication, l’éditeur pourra commercialiser l’accès aux publications. Après la période d’embargo, le texte tombe en accès libre et gratuit.
Jean-Marc Quilbé a répondu en présentant son analyse, chiffres à la clef. « Nous pensons que les abonnements vont continuer à baisser lentement puis sans doute plus vite jusqu’à une certaine stabilisation. L’idée est de garder ce modèle économique le plus longtemps possible et de créer en parallèle de nouveaux titres en Open Access Gold, qui pourraient par la suite prendre le relais. On envisagera au cas par cas les passages de revue au Gold (ou pas), on pourra faire des spin‐off de revues, c’est-à-dire de nouvelles revues à partir d’une sous‐rubrique d’une revue sous abonnement ».
Renouvellement des modèles d’édition
Les éditeurs scientifiques traditionnels rachètent ou créent des revues en Open Access pour tous. Même les plus grands souhaitent anticiper l’évolution inéluctable du système de diffusion des résultats de la recherche. Dans de nombreux endroits, la voie verte emporte la préférence. Le rôle important des éditeurs n’est pour autant pas nié. Voie dorée ou voie verte, un filtre de qualité des articles doit être conservé. De nouveaux modes d’édition sont alors proposés. Le CCSD est par exemple en train de mettre en place la plateforme Episciences.org. Elle permettra de procéder à un peer-reviewing des articles disponibles dans les archives ouvertes pour une nouvelle méthode d’édition scientifique à moindre coût. Les éditeurs comme EDP Sciences envisagent eux-mêmes de nouveaux modes de peer-reviewing et de nouveaux formats de publications.
Via l’open Access Gold ou via de nouveaux modes d’édition, ne va-t-on pas tout simplement récréer de nouveaux éditeurs au sein des communautés scientifiques ? « Vous avez des expertises poussées pour faire de la science. Laissez les professionnels faire l’édition de texte, » réagit Jean‐Marc Quilbé. Mettre les grands éditeurs et ceux des sociétés savantes dans le même panier serait effectivement une erreur. Si la voie est ouverte vers l’Open Access, on constate que de nombreuses questions complexes restent encore à trancher.
Compte-rendu du mini‐colloque Évolution de l’édition scientifique du congrès de la SFP. Les supports de présentations des intervenants du mini-colloque Evolution de l’édition scientifique du congrès de la SFP.
Rédaction : Laurence Bianchini – Réédition et relecture : Lucile Pommier.