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C’était une étude sur les personnes trans. Elle avait peu de valeur scientifique, comme l’avaient rapidement démontré ses critiques. Ce qui ne l’empêche pas, quatre ans plus tard, de continuer de se répandre via les médias sociaux.

En fait, le texte original ne pouvait même pas prétendre avoir démontré quelque chose: c’était une théorie, selon laquelle le désir de changer de sexe pourrait être le seul résultat d’une sorte de contagion sociale. Autrement dit, la personne qui croyait s’appuyer sur un diagnostic de « dysphorie de genre » (lorsque son identité de genre ne correspond pas à son sexe biologique), serait plutôt sous l’influence de ses amis ou de ses pairs, sur Internet. L’auteur avait appelé cela « rapid-onset gender dysphoria », (littéralement: dysphorie de genre à apparition rapide), ou ROGD.

L’article, paru en août 2018, s’appuyait sur un sondage auprès de parents, mais le premier problème était que ceux-ci avaient été recrutés sur des forums en ligne explicitement anti-trans, ou à tout le moins explicitement « sceptiques » face à la « réalité » des transgenres. La revue qui avait publié l’article, PLOS One, avait rapidement publié un commentaire remettant en question la méthodologie. L’Université Brown, où travaillait l’auteure, avait retiré son communiqué de presse annonçant cette publication. Des dizaines d’associations professionnelles allaient contester la validité de la théorie et des chercheurs allaient contester la méthode utilisée. En mars 2019, PLOS One publiait une version révisée présentant l’article comme une théorie « exploratoire et descriptive » qui n’a pas été validée par des études. En novembre 2021, le Journal of Pediatrics publiait une étude concluant qu’aucune preuve de l’existence du concept ROGD n’avait pu être trouvée dans la littérature scientifique.

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Mais selon un reportage récemment publié par le magazine MIT Technology Review, l’acronyme ROGD n’a cessé de gagner en popularité, à travers des groupes de soutien aux parents, des médias de droite, un livre hostile (Irreversible Damage: The Transgender Craze Seducing Our Daughters) qui se serait vendu à plus de 100 000 exemplaires, et même à travers des politiciens souhaitant voter des lois limitant les droits de ces groupes. C’est « un exemple frappant de la façon dont de la science douteuse peut être instrumentalisée pour atteindre des objectifs politiques ».

Ce n’est pas la première fois qu’une telle chose se produit, commente dans le reportage un professeur de communications et directeur du Centre d’études appliquées sur les transgenres. « Il y a beaucoup de mauvaise science, et cette science ne reste pas dans les revues » scientifiques. Mais le problème est que cette mauvaise science reste sur les médias sociaux, parce qu'elle dit, autant à des parents inquiets qu’à des militants anti-trans, ce qu’ils veulent entendre. « En dépit de ses limites, [l’article] est devenu une arme importante dans la lutte contre les trans, largement à travers sa dissémination en ligne. »

Ce qui pose, du point de vue de l’édition scientifique, le problème des études aujourd’hui accessibles à tous: les bonnes comme les mauvaises sur un pied d’égalité, sans indices permettant au non-initié de savoir s’il s’agit d’une étude solide ou non, validée ou non, critiquée ou non.

La même question s’est posée à plusieurs reprises pendant la pandémie, alors que sont apparues quantité de recherches pré-publiées —qui n’ont pas été révisées— certaines fournissant, à leur corps défendant, des arguments à des militants antimasques ou antivaccins. Faudrait-il mettre en place un « tamisage » plus rigoureux des prépublications? Un mécanisme par lequel les critiques des études seraient plus faciles d’accès? Certains chercheurs sont en train de découvrir qu’on n’est plus à l’époque où seuls les collègues dont l’université était abonnée aux revues pouvaient lire leurs études…

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