
En 2016, des chercheurs affirmaient que les erreurs médicales étaient responsables de centaines de milliers de décès chaque année aux États-Unis. Une décennie plus tard, la statistique continue d’être utilisée par certains groupes, mais le Détecteur de rumeurs a découvert qu’elle était nettement exagérée.
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Les origines
En 1998, le Comité sur la qualité des soins de santé de l’Académie nationale de médecine des États-Unis (alors appelé « Institute of Medicine ») avait produit un rapport portant sur la sécurité du système de santé. Les auteurs calculaient que de 44 000 à 98 000 Américains mouraient en raison d’une erreur médicale chaque année. Cela en faisait la 8e cause de décès, avant les accidents de voiture, le cancer du sein et le sida.
Bien que ce nombre semblait déjà élevé, des scientifiques jugeaient pourtant qu’il sous-estimait les décès en milieu hospitalier qui auraient pu être évités. En 2016, des chercheurs de l’Université Johns Hopkins ont donc publié une analyse où ils évaluaient que les erreurs médicales étaient responsables de 251 454 décès par années aux États-Unis. Il se serait alors agi de la troisième cause de décès, tout juste après les maladies du cœur et l’ensemble des cancers.
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Cette affirmation a ensuite été reprise par plusieurs grands médias dont le Washington Post et NPR aux États-Unis. Au Québec, un texte de l’Agence France-Presse à ce sujet avait été publié par La Presse.
Une analyse critiquée
Les conclusions de l’article de 2016 ont toutefois fait l’objet de nombreuses critiques. En 2017, les éditeurs du journal BMJ Quality and Safety ont par exemple publié un texte mentionnant les failles de cette analyse.
Tout d’abord, reprochaient-ils, l’analyse de 2016 ne présentait pas de nouvelles données. Les scientifiques de Johns Hopkins s’étaient plutôt limités à faire la moyenne des résultats d’autres études: il ne s’agissait pas de ce qu’on appelle une méta-analyse, faute d’une méthodologie claire et d’une discussion pour justifier les études retenues.
Mais un autre problème était que le nombre de décès analysés dans les études choisies était très petit dans la majorité des cas (entre 3 et 14). Or, les résultats de ces études ont été extrapolés à la population en général malgré le fait que les populations observées étaient très spécifiques : ces études portaient surtout sur des patients de plus de 65 ans alors que dans la population en général, la principale raison pour se rendre à l’hôpital est pour accoucher.
Un lien de cause à effet douteux
Les éditeurs du BMJ Quality and Safety faisaient aussi remarquer que les études analysées en 2016 n’avaient pas pour objectif de mesurer le taux de mortalité associé aux erreurs médicales. Le lien de causalité entre l’erreur médicale et le décès ne pouvait donc pas être correctement évalué, confirmait Jonathan Jarry, communicateur scientifique pour l’Organisation pour la science et la société de l’Université McGill dans un texte publié en 2021.
Ce qui est un problème majeur, puisqu’il est difficile d’estimer le nombre de décès causés par une erreur médicale si on n’examine pas les dossiers médicaux. Les médecins sont d’ailleurs souvent en désaccord pour dire si une erreur médicale a provoqué ou non un décès, ajoutait Jonathan Jarry.
Analyser les dossiers médicaux
En 2019, des scientifiques de l’Université Yale ont étudié les dossiers de 12 503 patients décédés à l’hôpital. Selon leur analyse, 3,1 % de ces décès auraient pu être évités. Si on généralise cette donnée à l’ensemble de la population, cela représente 22 165 décès dus à une erreur médicale par année aux États-Unis, c’est-à-dire 10 fois moins que l’estimation des chercheurs de Johns Hopkins. Au Canada, on parlait de 5 des 31 décès « possiblement évitables » (possibly preventable). Si on compare ce nombre avec les principales causes de décès en 2023, les erreurs médicales ne font pas partie des 12 principales aux États-Unis.
Dans le même esprit, en 2023, des scientifiques américains ont choisi d’analyser les dossiers médicaux de patients qui s’étaient rendus dans 11 hôpitaux du Massachusetts. Ils ont calculé la fréquence des erreurs médicales qui ont nécessité une intervention ou qui ont rallongé le temps de rétablissement, incluant celles qui ont provoqué un décès. Ils ont ainsi estimé que c’était survenu dans 1 % des admissions.
Les taux mesurés par les chercheurs américains sont comparables à ceux observés dans d’autres pays comme la Norvège (4,2 %) et le Rpyaume-Uni (3,6 %).
Pourquoi est-ce important?
Les erreurs médicales sont un phénomène réel et toutes celles qui peuvent être évitées devraient l’être, comme le soulignaient tous ceux qui ont critiqué les estimations de 2000 et de 2016. Cependant, ce genre d’exagération peut avoir des effets négatifs.
Par exemple, certains partisans de traitements « alternatifs » ou « médecines douces » utilisent ces données pour affirmer que la médecine est dangereuse et encourager la population à se tourner vers leurs approches, remarquait David Gorsky, un chirurgien oncologiste américain dans un texte de 2020.
Même la National Rifle Association (NRA) le lobby de défense des armes à feu aux États-Unis, a cité ces chiffres pour minimiser les dangers des armes à feu en prétendant que les erreurs médicales tuent plus d’Américains, dans une publication sur X en 2019.

Enfin, le commentateur d’extrême-droite Ben Shapiro a utilisé cette donnée en 2024 pour réclamer la fin des mesures de diversité, d’inclusion et d’équité. Il prétendait en effet que ces politiques permettaient à des médecins incompétents de continuer à pratiquer, malgré le fait qu’ils mettraient la vie des patients en danger.

Verdict
Les erreurs médicales ne sont pas la troisième cause de décès aux États-Unis. De plus, selon les études les plus récentes, la proportion de décès qui auraient pu être évités parmi les gens admis dans les hôpitaux tourne plutôt autour de 3%.