Suffit de se promener dans les archives du Net pour trouver ce mantra : « pour les blogueurs, tout repose sur leur crédibilité; bloguez de manière responsable, et vous vous construirez la réputation d’être une source d’information fiable ».
Abonnez-vous à notre infolettre!
Pour ne rien rater de l'actualité scientifique et tout savoir sur nos efforts pour lutter contre les fausses nouvelles et la désinformation!
En 2002, c’était tout à fait vrai. En 2011, ça l’est encore, mais tout de même moins.
- Tout d’abord parce qu’en 2002, un blogue associé à un grand média, ça n’existait pas. Dès le moment où les médias ont plongé, une grande partie du public s’est tout naturellement tournée vers leurs blogues, rendant du coup plus difficile la tâche des blogueurs « indépendants » tentant de se faire une place au soleil.
- Ensuite, et c’est ceci qui sera déterminant dans la prochaine décennie... Qui diable définit ce que c’est, la crédibilité?
La crédibilité n’est plus ce qu’elle était
On le voit en science, les blogueurs de Real Climate , les P.Z. Myers ( Pharyngula ) ou Ed Yong ( Not Exactly Rocket Science ), se sont construits une crédibilité en béton à partir de zéro.
Mais crédibles auprès de qui? Auprès des autres scientifiques, et d’un public amateur de science. Certes, c’est beaucoup plus que ce qu’aurait eu jadis un scientifique qui ne pouvait rejoindre que ses propres collègues. Mais ça reste limité.
En-dehors des amateurs de science, qui connaît Real Climate ou les autres? Peu de statistiques existent à ce sujet. Ces blogueurs font pourtant un travail remarquable, d’une impeccable rigueur, ils suivent l’actualité comme de vrais journalistes —ou plus exactement, comme des chroniqueurs opiniâtres.
Mais s’il fallait qu’ils soient publiés dans le New York Times ou dans Le Monde, leur « crédibilité » grimperait soudain en flèche. Pourtant, ce n’est pas comme si ces journaux détenaient une baguette magique leur permettant de choisir infailliblement qui sont les scientifiques vulgarisateurs les plus rigoureux...
La crédibilité, mais quelle crédibilité?
Donc, pour résumer : ce qu’il y a de particulier en cette ère du Web 2.0, c’est que plusieurs blogueurs, y compris en science, n’ont pas eu besoin des grands médias pour se bâtir une crédibilité. Autrement dit, les médias ont perdu une sorte de monopole sur l’ascension ou non au temple de la renommée.
Mais l’auditoire des Real Climate et autres n’en demeure pas moins un auditoire relativement pointu. C’est là un symptôme de ce qu'on appelle la fragmentation des auditoires, la même que les profs de journalisme évoquent depuis les années 1980, quand les chaînes de télé ont commencé à se multiplier.
Et en ces années 2010, cet auditoire ne se fragmente plus seulement en fonction de centres d’intérêt comme la climatologie. Il se fragmente aussi en fonction de lignes idéologiques. C’est ainsi qu’aux yeux de ses lecteurs, le blogue climatosceptique Watts up with that? est malheureusement tout aussi crédible que Real Climate. Aux yeux du mouvement antivaccination, l’actrice Jenny McCarthy est plus crédible que le médecin Ben Goldacre, du blogue Bad Science . Et la « crédibilité » de McCarthy sur l’antivaccination a défoncé le plafond le jour où elle a été invitée... à l’émission de télé d’Oprah Winfrey!
Le professeur de journalisme Jay Rosen, dans un texte sur « l’affrontement » entre journalistes et blogueurs, associait en 2005 le recul des journalistes traditionnels au fait que leur façade d’objectivité était alors en train de se lézarder : seulement 38% du public américain, soulignait-il, était d’accord pour dire que les journalistes n’étaient pas biaisés, contre 58% en 1988.
C’était vrai, mais en 2011, on est déjà rendu plus loin. Pour une bonne partie du public, être biaisé signifie justement être crédible. Donner son opinion, prendre position, afficher sa subjectivité. Pour les amateurs de Fox News, Fox News est crédible parce qu’il est subjectif. Jenny McCarthy est crédible parce qu’elle dit ce que les opposants à la vaccination veulent entendre. Le climatosceptique est crédible parce qu’il s’oppose à une soi-disant « idéologie dominante » ou, comme on dit en France, à « la pensée unique ».
Du point de vue de la pensée scientifique, qui veut s’appuyer sur des faits plutôt que des opinions, et du point de vue du journalisme, dont l’existence même était également censée s’appuyer sur les faits plutôt que sur l’opinion, c’est un glissement dangereux, bien évidemment. C’est là le côté sombre de cette prise de parole universelle par le citoyen, à travers blogues et réseaux sociaux.
La solution? Malgré tout, elle reste de faire du bon travail, parce que ce glissement est inévitable, que ça plaise ou non aux puristes. Il y aura tôt ou tard un retour du balancier sur certains sujets épineux. En un sens, c’est même déjà commencé : dans le monde anglophone, la qualité et la rigueur des échanges d’informations, des conversations et des commentaires, est de loin supérieure sur les blogues rédigés par des journalistes scientifiques et des scientifiques blogueurs crédibles —au vrai sens du mot— et ceci pourrait faire une différence à long terme. Les fans de l’antivaccination réaliseront qu’ils se sont fait avoir. L’accumulation d’inondations et de tempêtes extrêmes pourrait finir par réduire les climatosceptiques au silence.
Mais combien de temps cela prendra, seuls les dieux de la blogosphère le savent.