Avec le recul, le cas semble pourtant limpide... pour les scientifiques : l’article paru le 28 février 1998 n’était pas une étude, c’était un simple « article d’observation ». Mais qui, à part eux, fait la différence ?
De plus, ces observations ne portaient que sur 12 enfants, soit un échantillon beaucoup trop petit pour tirer quelque conclusion. Les chercheurs s’indignent donc depuis 12 ans : rien ne justifiait le poids médiatique que ce texte allait acquérir, ni la valeur de symbole qui allait être accordée à son auteur, le Dr Andrew Wakefield, ni que le taux de vaccination ne diminue de 91 à 79 % en Grande-Bretagne, patrie du Lancet et du Dr Wakefield.
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Le scepticisme des chercheurs ne les a pas empêchés de multiplier les études : plusieurs sont repassés dans leurs données afin de voir si un lien entre l’autisme et le vaccin rubéole-rougeole-oreillons ne leur aurait pas échappé. Pendant ce temps, d’autres recherches s’accumulaient : la plus importante, portant sur le demi-million d’enfants nés au Danemark entre 1991 et 1997, constate une proportion similaire de cas d’autisme, autant chez les enfants vaccinés que non vaccinés. Autre particularité du Danemark : le thimérosal, « le » composant du vaccin souvent pointé du doigt, avait été interdit en 1992. Or, le nombre de cas d’autisme n’a nullement diminué après 1992.
D’emblée, le Dr Wakefield avait soulevé la controverse dans la communauté scientifique en semblant confondre cause et corrélation — une expression courante en science, qui signifie que ce n’est pas parce que deux faits se suivent qu’il y a un lien de cause à effet entre eux.
En février 2004, une enquête journalistique révélait que plusieurs des 12 enfants de l’étude d’origine avaient été recommandés au Dr Wakefield par un avocat spécialisé dans les poursuites pour négligence médicale... dans le cadre d’une poursuite contre la vaccination ! The Lancet avait alors blâmé le médecin pour avoir caché le fait qu’il avait été financé par ce groupe ; et 10 des 13 coauteurs de l’article incriminé avaient déclaré qu’ils se dissociaient des conclusions.
L’affaire était déjà close, mais si, cette semaine, The Lancet a annoncé qu’il retirait ce texte de ses archives — un événement plutôt rare — c’est en raison d’un avis du Conseil général médical de Grande-Bretagne sur l’article de 1998. En plus de revenir sur les failles déjà soulignées, l’avis conclut à un autre errement éthique : examens invasifs chez les enfants, sans l’autorisation d’un comité d’éthique. Et le Conseil (qui a tenu sur cette affaire les plus longues audiences de son histoire : 148 journées sur deux ans et demi !) ajoute qu’au moment de la publication, le Dr Wakefield était impliqué dans la création d’une compagnie privée destinée à réaliser un nouveau vaccin contre la rougeole.
Le rapport de 143 pages contient des qualificatifs tels que « malhonnêteté », « irresponsable » et « induire en erreur », qui augurent mal pour le droit du Dr Wakefield, 52 ans, de continuer à pratiquer la médecine en Grande-Bretagne (il travaille aujourd’hui aux États-Unis).
La fin d’une saga ? Probablement pas. Les scientifiques jugeront incompréhensible que les mouvements antivaccination continuent à présenter le gastroentérologue Andrew Wakefield comme un héros, mais le New Scientist rapporte qu’une manifestation de soutien avait lieu à l’extérieur des locaux du Conseil général médical, à Londres, au moment où celui-ci rendait sa décision. Le mouvement antivaccination n’est pas de ceux qui se nourrissent de la recherche et des études...