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Ils l’ont découvert mais refusent de confirmer que c’est bien lui. Pour étirer le plaisir? Ou plutôt parce que, avec le boson de Higgs, les physiciens ont finalement fait les premiers pas dans un territoire inconnu?

Car le boson de Higgs, si c’est bien lui dont les détecteurs du CERN, en Suisse, ont finalement trahi l’existence, n’est pas la fin d’une longue quête de 50 ans: c’est plutôt le début d’une autre pour laquelle on manque de repères. C’est la dernière particule dont les physiciens avaient besoin pour faire tenir leur «Modèle standard» de l'univers —la dernière brique pour compléter un mur, en quelque sorte. Mais c’est en même temps un pont vers un ailleurs incertain, vers une partie de la réalité qui nous échappe encore.

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Peut-être, qui sait, cette partie de la réalité à laquelle appartient la mystérieuse matière sombre.

Ou alors sûrement, à tout le moins, ce champ de Higgs, une «soupe cosmique» qui donne leur masse aux particules qui passent au-travers, un champ postulé il y a 50 ans, dont le boson était notre toute première chance d’en démontrer l’existence.

D’où la prudence des physiciens. «Nous avons un boson, a déclaré le directeur du CERN, Rolf Heuer pendant la conférence de presse suivant le séminaire matinal du 4 juillet. À présent, nous devons découvrir quel genre de boson c’est.» Le communiqué du CERN parle d’une «nouvelle particule», qui est bien là où ils espéraient qu’elle soit, au niveau d’énergie (125 gigaélectronvolts, pour les intimes) qui permet de compléter adéquatement le Modèle standard. «Le plus lourd boson jamais découvert» —mais le communiqué ne le nomme jamais «boson de Higgs».

En partie parce que si cette particule était vraiment un pont vers cet ailleurs dont la physique ne connaît encore rien, alors cet ailleurs pourrait être ce qui apparaît fugacement sur les écrans aux environs de 125 gigaélectronvolts. Et en partie parce que les différents échos —les «bumps» ou «cahots»— qui apparaissent ici et là sur les graphiques des détecteurs du CERN correspondent tantôt aux échos attendus du boson, tantôt non: anomalies statistiques normales, ou échos d’un ailleurs intriguant?

Comme l’écrit le physicien Sean Carroll: «malheureusement, nous n’avons pas en notre possession de carte fiable; nous devons juste traverser le pont et voir où il nous conduit».

Objectif 2013

Première étape: comprendre cette nouvelle particule. Se comporte-t-elle comme les prévisions l’attendent du boson de Higgs? Il faudra pour cela profiter des données de 2012 pas encore analysées au Large Hadron Collider du CERN pour mesurer avec de plus en plus de précision les différentes façons dont cette particule est produite et se désintègre. Une tâche pas facile, considérant qu’on aurait détecté quelque 300 bosons potentiels sur des milliers de milliards de collisions!

Mais il en est du boson comme du reste de la science: plus on a d’échantillons, plus on peut construire.

Objectif 2015

Plus les données, ou le boson lui-même, s’écartent de ce que les prévisions dictent, et plus ces écarts ont des chances d’être les traces d’autres particules, plus exotiques encore —cette partie de la réalité qui nous échappe.

Objectif 2020

Or, en théorie, ces particules exotiques pourraient être ce qui constitue la matière sombre, cette mystérieuse masse qui imprègne l’univers et en représente 85% de la masse. Et puisqu’on est dans le domaine des théories, celle dite de la supersymétrie prévoit, sur papier, l’existence d’autres particules massives, à titre de compagnes de chaque particule actuellement connue. Confirmer la théorie de la supersymétrie serait un bel accomplissement pour la physique du 21e siècle, parce que cette théorie complèterait adéquatement le modèle standard.

Peut-être un peu trop adéquatement, toutefois. Qu’il ait fallu 50 ans pour passer de la théorie à la découverte de ce boson en dit long sur la complexité du problème. Qu'on en juge:

4 juillet 2012. Le CERN confirme ce qu’une annonce préliminaire, en décembre, laissait espérer: deux équipes distinctes (les détecteurs CMS et Atlas du Large Hadron Collider, en Suisse) ont découvert chacune des traces trahissant probablement un boson de Higgs, autour de 125 gigaélectronvolts (GeV), là où la théorie l’espérait.

Mars 2012. Les dernières données rassemblées par le Tevatron —l’accélérateur de particules des Américains, en Illinois— avant sa fermeture en 2011, laissent planer la possibilité d’un boson de Higgs entre 115 et 152 GeV.

13 décembre 2011. Le CERN annonce en grandes pompes avoir détecté des indices du boson de Higgs. Les rumeurs des mois précédents, ajoutées à la nature mythique de cette particule —l’épithète de «particule-Dieu» a beau être rejetée par tous les physiciens, elle lui colle à la peau— expliquent cette annonce où il n’y avait pas encore grand-chose à annoncer.

2009-2010. Bien qu’ils se défendent d’être dans une course, autant le Tevatron que le Large Hadron Collider (LHC) proclament avoir des chances de détecter le boson de Higgs le premier.

10 septembre 2008 . Les premiers protons sont lancés l’un contre l’autre dans les tunnels du nouveau LHC. Objectif: une «photographie» des conditions qui prévalaient un millième de milliardième de seconde après le Big Bang.

2007. Alors que le démarrage du LHC s’annonce imminent, le Tevatron resserre l’étau et annonce que le boson de Higgs, s’il existe, se situe entre 114 et 153 GeV.

2004. Le Tevatron établit que le boson de Higgs, s’il existe, se situe entre 114 et 251 GeV.

2001. Le prédécesseur du LHC au CERN, le Large Electron-Positron Collider (LEP), ferme ses portes après cinq années de travail au maximum de ses capacités, 80 GeV. Il établit que le boson de Higgs, s’il existe, ne peut pas être d’une masse inférieure à 114 GeV.

1995. Enveloppant le mythique boson de Higgs, il y a le mécanisme de Higgs, que la théorie définit par l’intensité de l’interaction entre une particule et le tout aussi théorique champ de Higgs qu’elle traverse. Plus une particule est lourde et plus l’interaction est forte. Cette théorie a permis aux physiciens de prédire avec succès la découverte de la plus lourde particule connue, le top quark.

1964. En octobre, le physicien écossais Peter Higgs énonce la théorie du champ de Higgs, genre de soupe cosmique qui imprègne tout l’univers et qui, en interagissant avec les particules, leur donne leur masse. Il décrit une particule exotique qui en serait la manifestation. En août de la même année, les physiciens belges Robert Brout (aujourd’hui décédé) et François Englert avaient eux aussi, chacun de leur côté, détaillé comment un tel mécanisme «générateur de masse» pourrait fonctionner. Un autre groupe, en novembre —le Britannique Tom Kibble et les Américains Carl Richard Hagen et Gerald Guralnik — avait publié un article détaillant ce mécanisme que d’aucuns appellent aussi, pour cette raison, le mécanisme Higgs-Kibble.

Ou le mécanisme Brout-Englert-Higgs. Ou le mécanisme Englert-Brout-Higgs-Guralnik-Hagen-Kibble.

Si la découverte de ce boson se confirme, il y a un prix Nobel de physique en vue d’ici 2020. En fait, tous les six ont déjà partagé, en 2010, le Prix Sakurai en physique théorique. Mais ce sera un casse-tête pour le comité suédois: le Nobel ne peut être partagé qu’entre trois personnes, vivantes de surcroît.

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