
Connues pour ses plages et une température idéale et constante toute l’année, les Canaries espagnoles pourraient l’être également pour la présence du fameux Télescope de trente mètres (TMT), s’il n’en tient qu’aux chercheurs de l’Institut d’astrophysique des Canaries (IAC). Alors que la présence de ce même télescope au sommet du Mauna Kea à Hawaï est plus qu’incertaine, les scientifiques œuvrant sur l’Île de la Palma et l’Île de Ténérife, en parlent comme de lieux privilégiés pour l’observation astronomique, à proximité du plus grand télescope optique au monde. Pourquoi le site de la Palma ou de Tenerife serait-il l’endroit parfait, rivalisant avec l’un des meilleurs endroits sur Terre pour le TMT qu’est le Mauna Kea? Je me suis rendu sur place pour découvrir les hauts lieux de l’astronomie en Espagne.
Les Îles Canaries, département outre-mer de l’Espagne, abritent deux observatoires astronomiques : l’observatoire du Roque de los Muchachos, sur l’île de La Palma et l’observatoire du Pic du Teide (Observatorio del Teide), sur l’île de Tenerife. Notre exploration débute par La Palma, la deuxième île la plus élevée, après Ténérife, avec une altitude de 2 428 mètres au Roque de los Muchachos, aussi surnommée La Isla Bonita (« L’Île belle »). Création de volcans, le paysage est rocailleux avec des reliefs escarpés. L’île est également la plus boisée des îles Canaries. Tout le long de ma visite, je serai guidé par Pablo Manuel Sanchez Alarcon, étudiant au doctorat à l’Université de La Laguna et collaborateur à l’Institut d’astrophysique des Canaries (IAC). Le point de départ est la capitale Santa Cruz de La Palma, où doucement la vie semble s’écouler. Notre guide nous mènera au cœur de l’île et jusqu’à son point culminant, le Roque de los Muchachos.
L’ascension est longue par des routes étroites ayant des allures de sentiers traversant des forêts luxuriantes d’un vert intense. Ses profonds ravins me donnent le vertige, mais le guide au volant à la main assurée. Il me fait découvrir peu à peu le pays et les vues sont magnifiques. Émerveillé, je traverse les nuages qui nous cachaient de la ville le sommet et le complexe astronomique. Tout autour de nous s’étale une nature volcanique. À un détour de la route et en bordure de la spectaculaire Caldera de Taburiente, l’Observatoire du Roque de los Muchados se révèle à nous et en impose. On se trouve devant une vingtaine de grands instruments très diversifiés, dédiés à l’astronomie optique, à des études sur l’observation robotique, à la physique solaire, à l’astrophysique des hautes énergies et les exoplanètes. Être dans ce lieu me rappelle ma visite au Mauna Kea a Hawaï (Québec Science numéro de mars 2024), un des endroits au monde possédant des conditions idéales à l’observation du ciel, les autres étant les Canaries et au nord du Chili. Les trois sites sont des sommets de montagnes ou de plateaux, au-delà de 2 400 mètres d’altitude dont les conditions météo donnent un ciel découvert la majorité de l’année.
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Nous sommes accueillis à l’un des instruments portant le nom d’un grand astronome du XVIII siècle, le télescope William-Herschel (WHT), par le chercheur Javier Mendez. Doté d’un miroir primaire à un diamètre de 4,2 m, il serait ‘’le plus polyvalent télescope au monde’’ selon lui. Le chercheur nous indique qu’en 2023, un nouveau spectrographe à grand champ du nom de WEAVE (William Herschel Telescope Enhanced Area Velocity Explorer) a collecté la lumière de premières galaxies. Cet instrument permet des observations presque 100 fois plus rapides qu’avant. Des détails sans précédent ont été observés du Quintette de Stephan, un groupe de cinq galaxies dont certaines entrent en collision et laissent un champ complexe de débris. Cet ensemble de galaxies complexe est également étudié par les télescopes spatiaux Hubble et James Webb.
Et puis, nos hôtes nous mènent à l’intérieur d’un autre bâtiment où le Gran Telescopio Canarias (GTC) est en activité depuis 2007. Le plus grand télescope optique au monde comporte un ensemble de miroirs dont la surface totale est de 10,4 m, 40 centimètres de plus que les deux télescopes de l’observatoire M. W. KECK, parmi les plus grands télescopes optiques et proche infrarouge en service au sommet du Mauna Kea. C’est tout à fait impressionnant. Le chercheur Antonio Garcia m’affirme ‘’Grâce à nos instruments imageurs et spectrographes, nous pouvons étudier en lumière infrarouge autant la détection indirecte de trous noirs aussi loin que 8 à 12 milliards d’années après le Big Bang ainsi que des ceintures de matière autour d’astéroïdes dans notre système solaire’’. Il ajoute que ‘’sur le plus grand télescope optique au monde il est possible d’y installer plus de quatre instruments simultanément et augmenter la détection d’objets très lointains comme des galaxies en formation’’. Je n’avais encore jamais mis les pieds à l’intérieur d’un bâtiment abritant un télescope, dont le miroir primaire dépasse 3,6 m. La vue qui nous est donnée de toute la mécanique de déplacement du télescope, pesant plusieurs dizaines de tonnes, nous fait dire que nous sommes assurément dans le monde de la haute technologie en astronomie avec un système complexe d’optique adaptative. Ce système est au dos du miroir principal et permet de rendre les images plus précises en atténuant le flou provoqué par les perturbations atmosphériques.
Je lance à la blague qu’il y aurait bien une place au sommet pour un nouvel observatoire optique géant avec un miroir primaire composite de plus de 30 mètres, le Télescope de trente mètres (TMT). Pour les chercheurs de l’Institut d’astrophysique des Canaries (IAC), ce n’est pas une blague, mais un souhait des plus ardents que celui de recevoir le TMT au sommet. Tout au long de mon voyage, les scientifiques visités formuleront ce désir de recevoir un plus grand télescope, le TMT, dans le ciel de l’hémisphère nord aux Îles Canaries, en plus du GTC actuel.
Au sommet du Roque de los Muchachos, deux autres instruments m’intriguent. Ils ressemblent à des télescopes dépouillés de leur bâtiment. Mon guide, Pablo M. Sanchez Alarcon, m’apprendra que ces instruments de 17 mètres de diamètre se nomment MAGIC. Il m’explique avec forts détails que ce n’est ni un télescope optique ni un radiotélescope. Ces énormes coupoles opèrent dans le domaine des rayons gamma, utilisant l’effet Vavilov-Tcherenkov atmosphérique . Si les opérateurs sont avisés à temps, par suite d’une alerte de sursaut gamma dans l’Univers, ils peuvent diriger les coupoles à l’endroit où le sursaut est repéré pour recueillir de nouvelles données d’observation de ce phénomène surprenant. ‘’Observer les émissions très énergétiques des rayons gamma peut amener les scientifiques à étudier la matière noire et les trous noirs au centre des galaxies’’ selon lui.
De retour à la ville, la tête encore dans les nuages et les étoiles, je prépare mes prochaines visites astronomiques, cette fois-ci sur l’Île de Tenerife. La plus grande et la plus populeuse des Îles, également d’origine volcanique, est connue pour son immense volcan et la présence du plus haut sommet d’Espagne, le Teide. L’observatoire qui le voisine à plus de 2 390 mètres d’altitude, est le plus grand observatoire solaire du monde. L’Observatoire du Pic du Teide est un imposant complexe de 50 hectares avec plus de 12 télescopes de plus de 60 institutions de 19 pays. J’y vois le 3e plus grand télescope solaire du monde et le plus grand d’Europe, le télescope solaire GREGOR (Allemagne) avec une ouverture de 1,5 mètre.
Bien que je rêve de visiter le plus grand instrument solaire, ce ne sera pas possible, car j’apprends sur place qu’il est fermé. Mon guide et moi nous dirigeons donc vers le télescope OGS, d’un diamètre beaucoup plus petit. Construit par l’Agence spatiale européenne, il sert pour les communications par satellite. Ici, on parle de recherche de pointe en optique spatiale, une des spécialités de l’Institut d’astrophysique des Canaries (IAC). Le directeur de l’IAC, Rafael Rebelo, est fier de me présenter les installations et les tests en direct de communication optique laser avec le satellite espagnol ALISIO-1. Il souligne que ‘’ce satellite est la démonstration que techniquement nous pouvons le faire et que nous sommes compétitifs, à moindre coût que nos concurrents et avec des résultats de grande qualité avec la caméra infrarouge embarquée DRAGO-2…’’. Le satellite ALISIO-1 est très utile pour l’élaboration de plan de prévention et d’action face aux catastrophes naturelles dont celle de l’éruption du volcan de la Cumbre Vieja sur l’île de La Palma en 2023.
Après ce tour d’horizon, je me rends à San Cristóbal de La Laguna, où est établi le siège central de l’Institut d’astrophysique des Îles Canaries (IAC). Fondé en 1975, le centre de recherche espagnol et internationalisé regroupe le siège, le centre d’astrophysique (CALP) sur La Palma et les deux observatoires: l’Observatoire du Teide et l’Observatoire du Roque de los Muchachos. Dans ce lieu, plusieurs laboratoires sont présents afin de répondre aux besoins des scientifiques et des observatoires. La visite débute par une incursion au laboratoire de mécanique de haute précision. Des objets nécessitant une fabrication de précision y sont produits au profit des nombreux télescopes et instruments scientifiques sur place aux deux sommets. Dans ses laboratoires d’électronique, l’IAC a conçu et fabriqué un système traitant les données astronomiques de la mission spatiale PLATO de l’Agence spatiale européenne (ESA), qui tentera de chercher ‘’d’autres Terres’’. Le plus marquant a été la visite des deux salles blanches au sous-sol de l’Institut. Dans la salle blanche du laboratoire d’optique, j’ai pu voir un minuscule miroir qui équipera un satellite d’observation en astronomie lancé à une date à confirmer. Dans une autre salle, des instruments de haute précision permettent au personnel technique de vérifier les nouvelles composantes de futurs instruments avec une précision au nanomètre près.
Trois astrophysiciens me rejoignent pour me faire part de leurs récentes recherches. L’expérience en spectroscopie stellaire de Thomas Masseron l’a amené à être impliqué dans de grands relevés spectroscopiques (APOGEE a l’IAC) et dans des projets concernant la détection des exoplanètes et leur caractérisation. Il a travaillé au Nordic Optical Telescope (NOT) au sommet du complexe scientifique de La Palma et il étudie plusieurs populations galactiques résolues (halo, disques, amas globulaires) et l’évolution chimique. Le chercheur a observé un type d’étoiles riches en phosphore, ce dernier élément jouant un rôle crucial en tant qu’ingrédient essentiel à la vie telle que nous la connaissons. Guillaume Thomas s’intéresse à la formation de la Voie lactée et son évolution. Ses recherches se concentrent sur la dynamique galactique, les flux stellaires et sur le halo stellaire. Pour comprendre les possibles effets de marées autour des étoiles de l’amas globulaire M92, il utilise l’instrument MEGARA du Gran Telescopio Canarias (GTC) « Grand Télescope des îles Canaries »). À partir de ses observations, il constate que ces marées provoqueraient l’apparition ‘’de tentacules à deux bras’’. Quant à Sebastien Comeron, astronome extragalactique travaillant également à l’Université de La Laguna, son principal intérêt scientifique est l’étude des galaxies proches. Il étudie NGC 1277 une galaxie géante qui ne serait pas perturbée par la présence de matière noire. Selon lui, ce constat va à l’encontre de nombreux modèles récents sur le sujet.
Par la suite, a ce trio se joindra Johan Knapen professeur et chercheur en astronomie. Comme ses trois autres collègues, il porte un intérêt à l’étude observationnelle de la structure et de l’évolution des galaxies, en plus de porter attention à l’utilisation de l’apprentissage automatique dans l’analyse de grands ensembles de données, ainsi qu’à la construction et au fonctionnement de télescopes et d’instruments. Tous les quatre, lorsque j’invoque la perspective que le fameux télescope de 30 mètres (TMT) soit construit aux Îles Canaries plutôt qu’à Hawaï, expriment les yeux brillants un enthousiasme débordant. Knapen m’énumère les conditions gagnantes pour la construction du télescope de 30 mètres (TMT) aux Îles Canaries. « L’expertise européenne en astrophysique est solide et les recherches sont riches et nombreuses. L’Île de la Palma et l’Île de Tenerife sont des endroits reconnus pour la qualité de leur ciel, stable, accessible et sans nuages au sommet durant une bonne partie de l’année. Ajoutons la condition de l’acceptabilité sociale et politique par la population et les gouvernements pour la construction d’un nouveau très grand télescope. Un des plus grands obstacles pour le projet de nouveau télescope à Hawaï est sa présence au sommet du Mauna Kea, considéré comme une montagne sacrée par la population locale. D’autres facteurs doivent être présents dont la stabilité politique et économique et cette stabilité existe aux Îles Canaries pour le TMT’’. L’adoption en 1992 d’une loi nationale (Royaume d’Espagne) afin de protéger la qualité astronomique des observatoires des Canaries contre la pollution lumineuse est un exemple probant de cette acceptabilité sociale et environnementale. Cette première mondiale faisait suite à la loi sur le ciel nocturne « Sky Law » (loi 31/1988), proposée par le parlement des îles Canaries et une série de règlementations et de mesures qui déterminaient certaines limitations concernant l’éclairage extérieur, l’installation et le fonctionnement des stations de radio et l’implantation d’industries, activités potentiellement polluantes de l’atmosphère.