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De loin, on dirait une partie de Monopoly. C’est coloré, un peu brouillon, ça a l’air amusant. On tend l’oreille. «Avec tous ces stimulants pour le cerveau, les étudiants devront bientôt passer des tests d’urine avant d’aller en cours», lance une dame. «Moi, l’idée de la démence me terrifie. Pas vous?», demande son voisin.

«Je sens bien que les antidépresseurs altèrent ma personnalité, mais c’est un risque que je suis prêt à courir», lance un troisième joueur. Les avis fusent, tout le monde a son mot à dire.

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Nous sommes dans un musée d’art de Venise en 2012. La scène aurait pu avoir lieu à Montréal, Lisbonne ou Londres, dans une bibliothèque ou une cafétéria. À mille lieues des débats où les plus timides restent silencieux, le jeu DECIDE vient titiller notre sens de l’éthique scientifique sans flafla ni complexe. Le principe: endosser le rôle d’un personnage fictif pour discuter, sérieusement, de sujets controversés – des neurosciences à la conquête spatiale, en passant par la xénotransplantation ou les nanotechnologies.

«Quand on a lancé le projet en 2004, six trousses thématiques étaient disponibles. Maintenant, il en existe une trentaine, et bon nombre ont été créées par les utilisateurs eux-mêmes», explique Andréa Bandelli, l’un des initiateurs de ce formidable générateur de débats citoyens. Le matériel qui permet de jouer à DECIDE est téléchargeable gratuitement et disponible dans plusieurs langues, prêt à être imprimé.

L’éthique en questions

Avec ses cartes à jouer et ses consignes simples, DECIDE a adopté le style d’un jeu de société coopératif. L’idée est d’amener les joueurs à construire, en 90 minutes, un consensus sur une question d’éthique pour laquelle ils n’ont, a priori, pas d’opinion préconçue.

Devrait-on réglementer plus sévèrement l’utilisation des stimulants cérébraux? Devrait-on favoriser l’expansion rapide des nanotechnologies (au mépris des risques)? Devrait-on rembourser uniquement les médicaments rentables bénéficiant au plus grand nombre? Des questionnements fondamentaux qui mettent souvent le principe de précaution dans la balance.

Quelques informations contextuelles appuyées par les histoires croisées d’une dizaine de personnages servent de déclencheurs pour s’instruire et débattre. Le grand-père sceptique, le chercheur nuancé, l’ado révolutionnaire, la mère de famille inquiète, l’entrepreneur enthousiaste… Chaque thème a sa palette de personnages dont la vision ou le vécu sont autant de prétextes pour stimuler la discussion.

La recherche d’un compromis acceptable pour tous en fin de partie constitue un périlleux exercice de démocratie qui, parfois, conduit à une impasse. Comme dans la vraie vie.

Si le débat s’enlise, des cartes « Enjeux» peuvent être jouées. Par exemple, une partie de DECIDE sur le thème des neurosciences pourrait vous amener à vous interroger sur l’épineuse question: «Devrions-nous demander aux dirigeants prenant des décisions pouvant changer le monde de prendre des médicaments améliorant leurs fonctions cérébrales?» Vaste débat…

Mon opinion compte

Les participants européens au projet DECIDE ont une raison supplémentaire d’apprécier l’expérience: à l’issue de chaque session, le résultat de leur discussion pourrait être transmis à l’Union européenne, via le site Internet de DECIDE. De 2008 à 2011, le jeu a même été utilisé pour un projet sur les maladies orphelines, POLKA, dans le cadre duquel plus de 300 sessions ont été organisées dans 22 pays. L’objectif: faire «remonter» vers le Parlement européen l’opinion du public pour aider à établir des politiques de santé publique. Parmi les thèmes abordés par le biais de trousses DECIDE : la recherche sur les cellules souches, le diagnostic néonatal et la recherche médicale transfrontalière. Les participants: des malades et leurs familles, du personnel médical et des membres de l’industrie pharmaceutique.

Mais inutile d’être Européen pour jouer et inscrire ses résultats en ligne. Des parties sont organisées aux quatre coins du monde, de l’Afrique du Sud à Israël. «Nous sommes les premiers étonnés de voir à quel point le projet s’est propagé par le bouche-à-oreille, dit Andréa Bandelli. Au Brésil, notre trousse sur les changements climatiques a même été intégralement reproduite dans un manuel scolaire.»

Une formule souple

«Ce qui est frappant, c’est aussi la manière dont les gens se sont approprié DECIDE et l’ont adapté à leurs propres besoins, continue-t-il. Certains ont développé des trousses sur des problématiques extrêmement locales comme “Vivre près d’un volcan”, d’autres ont détourné le jeu originel pour créer des activités uniques.» C’est notamment le cas du Musée d’histoire naturelle de Trento (Italie) qui s’est associé avec un groupe de pression sur le slow food pour créer, à partir de DECIDE, une expérience de dégustation de produits organiques ou industriels dans un pub.

«Cela prouve que partout où il y a une question sujette au débat, on peut créer une trousse pour structurer ce débat.»

À l’Ontario Science Center de Toronto, on trouve aussi des adeptes de DECIDE. «Les gens qui viennent visiter un musée n’ont pas le temps de participer à une vraie partie, mais nous avons déjà organisé des sessions dans le cadre de soirées spéciales destinées à nos membres et à leurs familles, et nos animateurs utilisent une trousse “maison” sur l’exploration de Mars pour faire la tournée des écoles» note Kevin Von Appen, le directeur de la communication scientifique.

L’équipe d’animateurs l’Ontario Science Center utilise aussi les cartes «Enjeux» pour générer des discussions impromptues avec le public. Ainsi, alors qu’ils font tranquillement la file pour entrer au Planétarium, les visiteurs sont interrogés sur les grandes et petites questions soulevées par l’exploration spatiale: «Pourquoi dépenser des fonds pour explorer les autres planètes alors qu’il y a tant de problèmes à régler sur la Terre?», «Sur Mars, peut-on s’envoyer des textos?», etc.

«On est sur le mode de la provocation et de l’improvisation. Les interactions peuvent durer 5 minutes ou donner lieu à des échanges plus profonds. L’important est de soulever un questionnement et de susciter une discussion» dit Kevin Von Appen.

Quant à ces fameux médicaments améliorant les facultés cérébrales que l’on pourrait administrer à nos dirigeants… Vous en pensez quoi, vous?

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