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Il fut un temps où les rapports politiques visant à nier le réchauffement climatique ou l’efficacité des vaccins, se contentaient d’utiliser des arguments biaisés, comme une facture trop élevée ou l’opinion d’un décideur. Une nouvelle tendance, à Washington, semble être de faire dire à des études le contraire de ce qu’elles ont dit.

Par exemple, cet été, le ministère de la Santé dirigé par Robert F. Kennedy Jr a défendu l’annulation de la recherche sur les vaccins à ARN en s’appuyant en partie sur une compilation d’environ 750 articles sur les prétendus effets secondaires de ces vaccins contre la COVID. Toutefois, la grande majorité de ces articles ne parlent pas des effets secondaires des vaccins... mais de ceux de la COVID (comme le notait le 4 septembre la microbiologiste Deborah Fuller sur le site universitaire The Conversation, la grande majorité des recherches concluent que les vaccins à ARN ont considérablement limité les effets les plus graves de la maladie).

Mais l’exemple qui a le plus fait parler de lui cet été est un rapport du ministère américain de l’Énergie (DOE). Publié le 29 juillet, il prétend offrir une « évaluation » du « narratif conventionnel sur les changements climatiques ». En fait, sa publication a été coordonnée pour coïncider avec celle d’un rapport de l’Agence de protection de l’environnement (EPA), qui annonce que l’agence travaillera à renverser un jugement de 2009 qui avait fourni les bases légales pour réglementer les gaz à effet de serre en tant que polluants. Le rapport du ministère souligne ainsi que le dioxyde de carbone (CO2) est essentiel à la vie sur Terre —un argument courant dans les groupes climatosceptiques, bien que ni la science, ni le jugement de 2009, n’aient prétendu le contraire.

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Le 9 septembre, le ministère de l'Énergie annonçait la dissolution du comité formé par les cinq auteurs de ce rapport controversé Une poursuite en justice déposée par des groupes écologistes allèguait que la création de ce comité n'aurait pas respecté les règlements fédéraux. 

Légal ou non, ce qui est différent des rapports politiques ou militants qui utilisaient le même type d'arguments climatosceptiques, c’est que cette fois, le rapport du DOE fait dire à des scientifiques des choses qu’ils n’ont jamais dites. Par exemple:

  • Le rapport tire d’une recherche de 2019 un graphique du climatologue Zeke Hausfather, en prétendant qu’il démontre que les modèles climatiques du passé ont « systématiquement surestimé les observations » de CO2. Or, l’étude en question, dont nous parlions ici, disait le contraire: les modèles climatiques ont été très justes dans leurs prédictions du futur réchauffement.
  • Le rapport cite aussi une recherche du biologiste Joy Ward, qui aurait conclu que davantage de CO2 dans l’atmosphère favorisera la croissance des plantes. En réalité, la recherche consistait en une expérience dans des conditions de laboratoire « très contrôlées », ce qui veut dire qu’elle ne s’intéressait qu’à l’impact du CO2, et ne tenait donc pas compte des autres facteurs, comme les températures plus élevées, les précipitations, les sécheresses ou le déclin des pollinisateurs.
  • L’expert en biogéochimie Josh Krissansen-Totton est utilisé pour soutenir l’affirmation à l’effet que l’acidification des océans (le pH) serait dans la fourchette des variations naturelles (plus les océans absorbent du CO2 plus ils deviennent acides). Interrogé par le magazine Wired, le scientifique rappelle qu’il parlait alors de variations naturelles à l’échelle des milliards d’années, alors que l’acidification actuelle se déroule à une échelle se mesurant en décennies. 
  • Le rapport allègue que le recul des glaces de l’Arctique a été négligeable… mais cite des données de l’Antarctique (la surface de glace y a décliné de 5% depuis 1980, contre 40% dans l’Arctique)
  • Interrogé par l’Agence France-Presse (AFP), le spécialiste de l’atmosphère Ben Santer note qu’une section du rapport sur le « refroidissement de la stratosphère » cite sa recherche, mais en lui faisant dire le contraire de ce qu’elle dit.
  • À la fin août, l’agence de nouvelles Associated Press (AP) a publié les résultats d’une recherche effectuée par deux de ses journalistes: ceux-ci ont pu trouver 15 chercheurs dont le travail avait été cité erronément ou hors contexte, dans le rapport du ministère ou dans celui de l’EPA. 
  • C’est en plus de tous ceux qui ont trouvé des erreurs dans ces rapports. L’AP a notamment interrogé l’analyste de données Jennifer Marlon, du Programme sur les changements climatiques à l’Université Yale: elle signale qu'on lit dans le document du DOE que la surface brûlée par des feux de forêt aux États-Unis n’a pas augmenté depuis 2007. Or, Marlon est repassée dans les données, qui sont publiques, pour constater que la surface brûlée a bel et bien augmenté. 

« Le ministère de l’Énergie était à l’avant-garde de la science pendant des décennies », déclarait à l’AFP, en août, le climatologue James Rae, lui aussi erronément cité. «Alors que ce rapport se lit comme un exercice scolaire ayant pour but de mal représenter la science du climat. »

En mai dernier, la même chose avait été remarquée dans un autre rapport gouvernemental, celui de la commission dirigée par Robert F. Kennedy Jr (« Make America Healthy Again Report »), rapport destiné à orienter les politiques de santé des États-Unis pour les enfants. Ce document citait des études qui n’existent pas et attribuait à des scientifiques des conclusions qui n'étaient pas les leurs. Le ministère de la Santé s’était alors hâté de publier une version corrigée.

Début-septembre, plus de 85 scientifiques des États-Unis et de l’étranger ont profité de la période d’audiences publiques du DOE pour déposer un document de plus de 400 pages —plus long que le rapport du DOE—qui critique le rapport du DOE point par point. Ils y comparent celui-ci aux efforts de relations publiques que menait jadis l’industrie du tabac pour susciter le doute autour des effets du tabac sur la santé.

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