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Nous ne sommes pas tous égaux face à une pandémie. La crise sanitaire frappe plus fort certains groupes : les aînés, les femmes, les immigrés… Ce que rappelle une récente analyse de l’Observatoire québécois des inégalités.

« Les moins nantis vont écoper davantage, car ils n’ont pas de réserves financières et de marge de manœuvre. Et aussi tous ceux sans domicile, les immigrants vivant de l’exclusion, les femmes aux prises avec plus de violence et qui sont souvent les premières en contact avec les malades… Et les risques sont cumulatifs lorsqu’on appartient à plusieurs catégories», alerte le coauteur de cette analyse et directeur de l’Observatoire, Nicolas Zorn.

Un Canadien sur deux s’avère être à un chèque de paie de la faillite en cas d’imprévu et un Québécois sur dix ne couvre pas ses besoins de base, rappelle cette étude.

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Il faut ajouter à cela tous ceux qui, par leur travail, sont directement en contact avec le public ou les malades (infirmières, préposées, caissières, etc.) ou qui l’étaient déjà, comme les aidantes naturelles.

Et tous ces gens sont majoritairement des femmes. « Elles sont au front davantage car elles sont plus présentes dans le milieu de la santé. Du côté de la charge domestique et parentale, elles en ont plus sur les épaules, car les enfants sont à la maison et elles doivent s’assurer que l’épidémie n’y rentre pas. Ça amplifie la charge mentale. Elles vivent plus de stress, de conflits et de violence familiale », décrit Nicolas Zorn.

Il y a aussi un grand risque lié au confinement dans une habitation qui offre peu d’espace où s’isoler. Ce que vivent de nombreuses familles immigrantes et d’étudiants en colocation. « Les grandes villes, comme Montréal, connaissent une pénurie d’appartements accessibles, particulièrement des 5 ½ et on se rend compte maintenant que c’est clairement un besoin », ajoute le chercheur.

Être étudiant en temps de pandémie

« Je vis beaucoup de stress et de maux de tête: est-ce que je vais pouvoir finir ma session d’hiver, faire mon travail de recherche, avoir accès aux ressources non numérisées ou simplement pouvoir rester au Québec? »  lance l’étudiant à la maîtrise en communication de l’UQAM provenant du Mexique, Eli Cortés Carreón.

Au Québec depuis août 2018, il vit en colocation avec Darinka, 25 ans (diplômée en cinéma) et Christian, 24 ans (musicien) dans l’arrondissement Ville-Marie de Montréal. « J’ai perdu mes deux sources de revenu: adjoint à la recherche à l’université, qui est fermée, et le restaurant où je faisais 10 heures, fermé lui aussi. Je n’ai pas de bourse et ma famille m’aide déjà pour les frais scolaires alors comment est-ce que je vais pouvoir payer mon loyer et les courses? », se questionne encore le jeune homme de 26 ans.  

« Le premier stress est financier », confirme le président de Union étudiante du Québec, Philippe LeBel. Perte d’emploi à temps partiel, interrogations face aux prestations gouvernementales d’urgence ou à des prêts et bourses, les sources d’anxiété financière sont multiples pour les étudiants d’ici ou d’ailleurs.

Il y aussi la poursuite des études. La demande de suspension des cours durant deux semaines demandée par François Legault n’a pas été suivie par toutes les universités. Certaines ont lancé à la hâte des cours à distance à des étudiants pas préparés ou mal connectés.

Plusieurs attendent des réponses pour leurs stages ou leurs permis d’étude. Cela pourrait bien jouer sur la santé psychologique des étudiants —une santé déjà fragile, comme il était possible de le lire dans un récent rapport de l’UEQ. Celui-ci montrait un niveau de détresse psychologique important pour près de 58% de sa communauté, tandis que près d’un étudiant sur 5 montrait des symptômes dépressifs sévères ou « modérément sévères ».

Nouveaux arrivants, premiers touchés

Eli Cortés Carreón n’est pas le seul à s’interroger. « Ce sont les nouveaux arrivants qui perdent leur emploi en premier. C’est pourquoi les mesures financières gouvernementales sont essentielles », relève la professeure à l’École de travail social de l’Université McGill, Jill Hanley. « Le retour sur le marché de l’emploi va être long pour plusieurs, car lors de crises, la discrimination s’accentue, tout comme les enjeux liés au racisme et au sexisme. » 

La directrice de l’Institut de recherche Sherpa sur les services sociaux, la santé et la migration s’inquiète aussi pour l’accès aux soins des étudiants étrangers, des demandeurs de statut de réfugiés et des immigrants récents qui n’ont pas accès à la RAMQ et qui devront donc payer pour se faire soigner. « Le gouvernement s’est engagé à tester tout le monde mais il ne s’est pas engagé à offrir les soins gratuitement. Si quelqu’un n’a pas les moyens de se faire tester, va-t-il songer à le faire? », s’alarme la chercheuse.

Elle se soucie également des travailleurs étrangers en quarantaine et des personnes en détention pour des raisons administratives dans les services d’immigration. « Les dortoirs, cela rend difficile la distanciation physique et donc la possibilité d’éviter de tomber malade. Il y a aussi l’incertitude liée à son sort », ajoute la Pre Hanley.

Les aînés dans la mire du coronavirus

Les médias n’ont jamais fait autant de cas des aînés qu’avec cette pandémie, que ce soit la gravité des symptômes ou l’isolement. « Mais l’isolement, ça se vivait déjà avant la Covid-19 », rappelle la titulaire de la Chaire de recherche sur la maltraitance envers les personnes aînées de l’Université de Sherbrooke, Marie Beaulieu.

Elle craint pour la santé mentale des aînés, qui va souvent de pair avec l’isolement et le confinement. Une chercheure américaine a conclu que l’isolement social serait aussi nocif pour la santé que de fumer 15 cigarettes par jour. « Plus la personne est isolée, explique Marie Beaulieu, plus son état dépressif s’accentue et moins elle a envie de converser, de s’alimenter ou de demander de l’aide. C’est comme une spirale. »

Sans compter que leur santé physique est plus fragile parce qu’ils sont deux fois plus à risque face aux maladies chroniques —la multimorbidité, ou la présence de plusieurs conditions médicales chroniques, touche 30% des 65 ans et plus. Et bien que les 80 ans et plus ne représentent que 4% de la population du Québec, c’est chez ce groupe que l’on comptait, au 31 mars, les deux tiers des décès causés par le coronavirus. 

Marie Beaulieu rappelle toutefois qu’il y a une grande diversité chez les aînés. Pour eux, le risque sera moins économique que psychologique. « Les ainés seront plus particulièrement touchés, voire traumatisés, par cette pandémie car ils vont perdre des proches, vivre de l’anxiété et de l’isolement, et même des risques liés à la fraude ou à la violence ».

L’actuel programme de promotion du « bien vivre ensemble » et de lutte contre la maltraitance entre résidents, qu’elle dirige, fait le portrait de la violence multifacettes vécues par les personnes âgées les moins autonomes. « Avec le confinement, nous perdons les yeux et les oreilles du système de vigilance », relève encore cette spécialiste en gérontologie sociale.

Difficile, en plus, de garder la distanciation physique au sein des centres d’hébergement.  Même si les résidences espacent les tables et limitent l’accès aux lieux partagés, les ascenseurs ne le permettent pas.

Et après ?

L’Observatoire québécois des inégalités va bientôt se pencher sur l’impact socioéconomique et les enjeux de la pandémie. « Nous voulons outiller le gouvernement et aussi informer la société sur les problèmes socioéconomiques qui risquent de s’amplifier en raison de la Covid-19. », explique Nicolas Zorn.

C’est qu’après la crise sanitaire et le confinement, une période de crise économique exacerbera les problèmes financiers et de santé mentale des plus pauvres. Ce serait le moment de repenser la redistribution de la richesse et de se pencher notamment sur le revenu annuel garanti, pense Jill Hanley.

En période de crise, surgissent par contre diverses initiatives de solidarité, comme la chaîne téléphonique des Petits frères des pauvres ou encore la réponse du public à  venir prêter main forte aux organismes communautaires.

Nicolas Zorn relève que la rapidité de la réponse des gouvernements québécois et canadien fait toute la différence en ce moment. « Chaque jour, un chapitre de ce que j’ai écrit devient un peu périmé, car les gouvernements agissent ». Il souhaite seulement qu’on en tire les leçons  lors du retour à la normale. Car ensuite, la solidarité sera encore plus importante pour aplanir la courbe des impacts socioéconomiques et de santé chez les plus vulnérables.

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