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La porte de la résidence Gabriel-Sagard, dans le quartier Saint-Michel de Montréal, s’ouvre sur une trentaine de personnes fébriles. Certaines sont assises et certaines restent debout. Entre elles, zigzaguent une dizaine de professionnels de la santé en sarraus.

Le couloir mène sur la salle communautaire, la même où, d’habitude, on danse, on brode, ou bien des aînés prennent le café. Aujourd’hui, la salle accueille la Clinique d’hygiène dentaire communautaire de ce quartier. Cette clinique itinérante offre des soins de santé buccodentaire gratuits aux citoyens de Saint-Michel.

« On pourrait en avoir trois fois par semaine, le besoin est là. On a dû refuser du monde aujourd’hui », s’exclame Martine Hilaire, intervenante de milieu ITMAV (initiatives de travail de milieu auprès des aînés en situation de vulnérabilité) pour le quartier.

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Ce programme permet de rejoindre les aînés vulnérables, ou à risque de l’être, qui sont négligés par les services communautaires et publics. La travailleuse de milieu les accompagne vers des ressources pertinentes en matière de santé, mieux-être et autonomie. 

Lorsqu’un aîné a des problèmes de dents, cela a un impact sur son alimentation mais aussi sur sa socialisation. « La personne va s’isoler et sa santé va encore plus se dégrader. C’est une roue qui tourne. C’est pour cela qu’on va les accompagner à la clinique, leur vulgariser les soins et les rassurer, pour qu’ils comprennent et aient accès à ce dont ils ont besoin », explique Mme Hilaire.

Pour Fadila, 75 ans, c’est sa seconde visite à la clinique communautaire. « Je suis venue l’an dernier et le personnel est formidable. Ils ont cherché si j’avais des caries mais aussi regardé mon palais, la mobilité de ma bouche, tout en me donnant des conseils pour mieux me brosser les dents », explique-t-elle.

La communauté dans la bouche

« La clinique, c’est gratuit. Nous attendons du gouvernement qu’il nous aide à réparer nos bouches », dit Fadila.

Il y a eu récemment de bonnes nouvelles pour la santé dentaire des Canadiens et particulièrement les aînés. Le gouvernement fédéral a lancé son Régime canadien de soins dentaires (RCSD) et davantage d’argent sera donné pour les enfants et les personnes âgées. Les personnes dont le revenu familial se situe en bas de 90 000$ vont avoir un accès gratuit aux soins dentaires.

« Cela fait 20 ans que l’on documente le lien entre les infections dentaires et les problèmes cardiaques ou encore les bébés de petits poids », rappelle le Dr Christian Caron, professeur titulaire à la Faculté de médecine dentaire de l’Université Laval et également fondateur et directeur du Centre d’excellence sur la santé buccodentaire et le vieillissement.

Dans la région de Québec, il visite, avec sa clinique mobile, les personnes en perte d’autonomie et les ainés en CHSLD. Cette grande valise de soins dentaires portatifs qu’il pose dans une chambre ou un salon, rapproche le dentiste des gens moins susceptibles de visiter une clinique.

« Ce sont des personnes qui prennent de nombreux médicaments favorisant les bactéries. Elles ont aussi moins de salive pour les contrer et perdent leur habileté fine d’un bon brossage », note le spécialiste en gérontologie et soins dentaires.

Il voit aussi des patients atteints d’Alzheimer et d’autres maladies compliquant la coopération avec le dentiste. Cela demande donc une grande adaptation des soins. « Je vise la qualité de vie, plus que la réparation à tout prix des dents. Ce sont plus des traitements adaptés à la situation et au grand âge », explique le dentiste.

Une mobilisation de santé publique

La Pre Vicky Potrzebowski, du Collège de Maisonneuve, supervise la petite équipe un peu fébrile, constituée de huit stagiaires, trois superviseurs de stage et, pour la première fois, un dentiste – le Dr Rezania Shahrouz. La coordonnatrice a un œil partout, particulièrement sur les élèves finissantes.

« Le cours en santé dentaire publique, ajoute Vicky Potrzebowski, amène nos étudiants à aller voir une clientèle diversifiée du quartier, des maternelles 4 ans aux élèves du secondaire, ceux des écoles à besoins particuliers, jusqu’aux aînés en CHSLD et aux personnes en francisation. Cela va les amener à être plus à l’aise de les recevoir en pratique privée. »

Saint-Michel « est un quartier où il y a beaucoup de gens issus de l’immigration et à faible revenu, et très peu de services dentaires » note Vicky Potrzebowski, qui est enseignante en techniques d'hygiène dentaire, et cofondatrice de la clinique mobile.

L’idée vient toutefois de l’agent communautaire Alexandre Boucher Bonneau, conseiller syndical à la CSN : « il y a de nombreuses personnes dans notre quartier qui manquent d’accès à ces soins faute de moyens financiers et qui sont aussi moins à l’aise en français ou qui ne peuvent pas se déplacer facilement », explique Mme Potrzebowski. 

« Nous, on offre des cliniques de dépistage de la santé buccodentaire lors de visites ponctuelles, et on va les diriger vers une clinique dentaire ou un programme de soins selon leur profil. »

Offrir des soins dentaires aux gens qui sont sous le seuil de faible revenu, c’est une goutte d’eau dans l’océan des besoins. « Nous sommes plus habitués à ce que le patient visite le dentiste. Là, c’est l’inverse. Le bouche-à-oreille montre que c’est un besoin pour de nombreux ainés qui manquent aussi d’information sur l’accès aux services», note Mme Targowski, qui est par ailleurs coordonnatrice du projet Bouche B.

Bouche B, c’est une initiative lancée il y a déjà 10 ans par la Fondation de l’Ordre des dentistes du Québec avec 800 dentistes bénévoles répondant, selon leurs disponibilités, aux urgences dentaires des personnes vulnérables.

« C’est la première année que l’on met à disposition un dentiste bénévole et nous renouvellerons l’expérience », annonce Mme Targowski. Cela est, en effet, complémentaire avec les soins d’hygiène et de prévention qui se déploient actuellement dans ce quartier défavorisé.

Pour prendre soin des bouches vulnérables

« On nous donne beaucoup de bons conseils et comment prendre soin de nos dents », dit Marie Rosita, 88 ans. L’aînée originaire d’Haïti a des problèmes de dentiers. Un dentiste lui en avait fait un, mais qui lui blesse la bouche. Des douleurs telles qu’elle préfère ne pas le porter, ce qui a un impact sur son alimentation et sa qualité de vie.

Les aînés réunis aujourd’hui à la clinique en ont long à raconter. « Ils nous parlent de leurs problèmes de dents mais aussi de leur famille et de leur vie. C’est une expérience sociale et ça entraîne une approche différente: ralentir et prendre le temps d’écouter », relève l’étudiante en 3e année et finissante en hygiène dentaire, Marilyne Tremblay.

L’hygiéniste dentaire du CIUSSS de l’est de l’île de Montréal, Mélanie Després, qui supervise aujourd’hui, renchérit : « C’est loin du contexte scolaire, pour ces étudiants. Il faut établir un contact visuel avec la personne, être empathique et vulgariser, tout en ne rentrant pas trop dans les détails. Ici, ce sont beaucoup de conseils, de dépistage et peu de soins, mais aussi beaucoup d’enseignement. »

La clinique commence d’ailleurs par le visionnement d’un diaporama sur le brossage des dents et les habitudes de prévention des caries. Chaque visiteur aura droit à un bain de bouche mettant en lumière les parties moins atteintes avec la brosse à dents. Ce qui donne un inégalable sourire rose…

Alors que commence la phase deux, le personnel de la clinique mobile mettra en place des soins plus avancés en matière de prévention, dont l’application d’agent désensibilisant pour les dents, ou encore de petits soins de nettoyage chez les enfants, destinés à les familiariser avec ces soins et à enlever l’anxiété chez les plus jeunes.

Prévention, services de proximité et accessibilité des soins: « cela prend des visites dans les milieux de vie, auprès de ceux qui vieillissent et ne peuvent se déplacer. C’est une question de santé globale et d’accompagnement, une responsabilité de la communauté », ajoute Mme Hilaire.

Alors que s’achève avril, qui est le mois de la santé buccodentaire au Canada, cette initiative a appris qu’elle sera bonifiée. Un petit coup de pouce financier permettra de poursuivre ce rendez-vous dans un quartier qui en a bien besoin.

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