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Les modèles épidémiologiques sont devenus une cible facile pour ceux qui veulent nier le bien-fondé du confinement: plusieurs de ces modèles, de l’Europe à l’Amérique du Nord, ont « prédit » un nombre de décès supérieur à ce qui s’est en réalité produit. Sont-ils à jeter au panier?


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Le 16 mars, l’épidémiologiste britannique Neil Ferguson et son équipe du Collège impérial de Londres, dévoilaient un modèle épidémiologique qui prévoyait qu’en l’absence de mesures strictes pour en freiner la propagation, la COVID-19 pourrait faucher environ un demi-million de personnes au Royaume-Uni et plus de 2 millions aux États-Unis. Dix jours plus tard, une étude analogue du même Collège établissait des prédictions tout aussi sombres pour de nombreux autres pays. Au Canada, il était question de 326 000 décès.

Des scénarios du pire

Quatre mois plus tard, il est clair que le Collège impérial a surestimé, et de loin, les décès. Même si la pandémie n’est pas terminée, la situation actuelle est à des années-lumière des chiffres annoncés.

Sauf que ces modèles étaient présentés à la mi-mars comme ceux d’un scénario du pire:  « si aucune action n’était entreprise contre l’épidémie, on pourrait s’attendre à…  ». Autrement dit, ce sont des simulations informatiques dont le but était de prédire ce qui se produirait si les différents pays gardaient leurs frontières ouvertes, entreprenaient peu ou pas de confinement, faisaient peu de dépistage, etc.

La semaine même où ils étaient publiés, les hypothèses sur lesquelles ils s’appuyaient n’étaient déjà plus valides. Le 18 mars, la frontière canado-américaine était fermée. Le 23 mars, Québec ordonnait la fermeture de toutes les entreprises non essentielles. Résultat : deux semaines plus tard, les différentes simulations présentées par la santé publique du Canada oscillaient plutôt entre 11 et 22 000 morts d’ici la fin de la pandémie (à la mi-juillet, le Canada approchait les 9000 décès).

Quant à la Grande-Bretagne, il faut se rappeler que cette simulation est tombée à un moment où le pays semblait toujours suivre une politique controversée d’acquisition par la population d’une « immunité collective » — pas de confinement, poursuite normale des activités. Le modèle Ferguson est souvent cité comme la cause du virage entrepris dans les jours suivants par le premier ministre Boris Johnson.

Dès avant que les mesures de confinement ne soient imposées à travers le monde, sa prévision « pessimiste » n’était pas la seule à circuler. Aux États-Unis à la mi-mars, le Dr Anthony Fauci évoquait « quelques centaines de milliers » de morts. Le 26 mars, après deux semaines de confinement dans plusieurs États américains, un modèle de l’Institute for Health Metrics and Evaluation de l’Université de Washington, qui allait être cité par la Maison-Blanche, évoquait de 100 000 à 240 000 décès —dans un scénario où un confinement sévère serait maintenu jusqu’à l’été dans l’ensemble du pays.

La plus ancienne prévision officielle disponible sur le site des Centres de contrôle des maladies (CDC) est du 13 avril, soit après un mois de confinement : les scénarios oscillaient alors entre 60 000 et 150 000 morts pour la fin-mai (les États-Unis ont passé le cap des 130 000 morts le 7 juillet, et pourraient atteindre les 150 000 avant septembre).

En réponse aux critiques émises sur les failles dans le codage informatique de la simulation de Ferguson, la revue britannique Nature a publié le 8 juin les observations d’experts qui l’ont testée et l’ont jugée fiable.

Des modèles conçus pour être contredits

Mais qu’ils soient pessimistes ou optimistes, ces modèles sont toujours publiés avec l’espoir d’être contredits, et non pour quantifier avec précision le nombre de cas, d’hospitalisations et de décès à venir. Une étude parue l’an dernier et passant en revue les modèles épidémiologiques publiés pendant l’épidémie d’Ebola de 2014-2015, concluait d’ailleurs à ce sujet que, à cause des actions prises par les populations qui changent toujours la donne, ces modèles seraient incapables de prédire le futur au-delà d’un horizon d’une à deux semaines.

Bien qu’il soit trop tôt pour le dire, il est possible que cette conclusion soit aussi valable pour les actuels scénarios de déconfinement et de deuxième vague: tous tentent de dessiner les contours d’un futur éventuel, mais ils ne peuvent le faire que bien imparfaitement, la grosse inconnue étant la façon dont se comporteront des millions de personnes.

« Tous les modèles sont faux, même si certains sont utiles », comme le veut l’adage attribué au statisticien George Box et au mathématicien Norman Draper, dans leur ouvrage Modèles empiriques de construction et surfaces de réaction (1987).

C’est là le paradoxe même de la prévention en contexte de santé publique, écrivait le 9 juin Benoît Mâsse, de l’École de santé publique de l’Université de Montréal: si les mesures « sont efficaces pour contrôler l’épidémie, elles donnent l’impression qu’elles n’étaient pas nécessaires, et nous laissent donc vulnérables pour une autre vague d’infection ». Il réagissait alors à une « note économique » de l’Institut économique de Montréal, qui remettait en question le bien-fondé du confinement, en accusant le gouvernement de s’être appuyé sur le «  modèle mathématique inexact » du Collège impérial de Londres.

De toutes façons, dans toute science qui produit des modèles, ceux-ci s’appuient sur les succès et les erreurs de leurs prédécesseurs.  Les représentations du début font place à des représentations plus complexes. Par exemple, on en sait beaucoup plus désormais sur les circonstances qui font varier le risque d’infection.

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