En ces temps de semi-confinement, jouer devant des gradins vides peut-il désavantager l’équipe locale, dès lors qu’elle est privée de l’énergie de ses fans ? La réponse est plus subtile, a constaté le Détecteur de rumeurs : les équipes risquent de jouer à armes plus égales que d’habitude.
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C’est un vieux débat chez les amateurs de sport : à quel point les supporteurs donnent-ils un avantage à leur équipe locale ? Alors que la pandémie force les équipes à jouer dans des stades ou des arénas vides, l’occasion est bonne pour tenter de trancher la question.
Avantage local
Dans le passé, les chercheurs ont souvent plongé dans les statistiques, mais ils ont dû tenir compte d’autres variables — la fatigue de l’équipe visiteuse à cause de son voyage, ou la familiarité avec les lieux pour les joueurs locaux.
C’est au soccer que l’avantage de jouer localement serait le plus évident. Une étude menée en Italie en 2014 avait analysé les performances d’équipes de soccer partageant le même stade lorsqu’elles jouaient l’une contre l’autre, éliminant ainsi de l’équation les facteurs de la fatigue ou de la non-familiarité avec les lieux. Les auteurs avaient ainsi noté que l’équipe locale, devant ses fans plus nombreux, « performait » mieux, et comptait plus de buts.
Des recherches suggèrent que « l’avantage du terrain » serait plutôt causé par les arbitres qui se laisseraient influencer par la foule. Des économistes suédois ont analysé les matchs de soccer en Italie qui se sont tenus à huis clos en 2007. Durant les matchs devant public, les équipes locales recevaient normalement des verdicts plus favorables des arbitres, moins de cartons jaunes et rouge, et moins de pénalités et de fautes. Cet avantage disparaissait lorsque les matchs se déroulaient sans public. Les arbitres seraient donc fortement (et, on le présume, inconsciemment) affectés par la pression sociale, ajoutait une étude américaine en 2005, et le désir de « satisfaire la foule ».
Cet avantage local aurait d’ailleurs décliné dans les dernières décennies dans certains sports, notamment au basketball, au baseball et au football. L’autorisation des reprises vidéo pour aider les arbitres dans leurs décisions, a contribué à « égaliser les chances », écrivait en 2019 le chercheur américain en sciences de l’information Konstantinos Pelechrinis.
Jouer en période COVID
Qu’en sera-t-il cette année ? Des chercheurs anglais ont publié une étude en juin, comparant 160 matchs de soccer européen sans public à plusieurs milliers d’autres parties pré-COVID. Leur constat ? L’avantage des joueurs locaux aurait dégringolé : les buts comptés par les équipes locales étaient moins nombreux et, alors que ces dernières gagnaient 46 % de leurs matchs lorsque leurs fans étaient présents (contre 28 % de matchs nuls et 26 % de défaites), cette proportion diminuait à 36 % devant des stades vides. L’échantillon reste toutefois limité, et les auteurs font remarquer que, si on tient compte de la qualité des équipes dans ces rares matchs à huis clos, l’effet « sans supporteurs » n’est pas statistiquement significatif.
La ligue de soccer de Bundesliga en Allemagne, la première à avoir repris du service durant la pandémie, a elle aussi constaté que la proportion des victoires à la maison avait glissé de 10 points de pourcentage, pouvait-on lire le 1er juillet dans le New York Times. Les joueurs locaux du Bundesliga ont tiré moins souvent au filet, et ont en général fait moins de jeux (passes, dribble, etc.). Même les gardiens de but ont arrêté moins de tirs à la maison que d’habitude. La firme d’analyse Gracenote avait aussi analysé, en juin, 83 matchs joués par cette même ligue allemande depuis son retour au jeu : l’équipe locale avait été plus souvent pénalisée pour des fautes que lorsque les stades étaient remplis, et plus de cartes jaunes avaient été distribuées. À l’inverse, les données récoltées par Impect, une autre firme d’analyse de données, concluent que la qualité globale du jeu depuis la reprise des parties restait la même.
S’ajouteront à cela les ligues de hockey ou de basketball qui, dans l’espoir de réussir à finir une saison déjà bien écourtée, ont créé des « bulles » ayant pour conséquence qu’aucune des équipes ne joue dans sa propre ville : une réduction radicale de tout ce qui pourrait leur rester d’avantage local. À suivre.