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Avec l’augmentation du nombre d’appareils électroniques dans nos maisons, un nouveau mot est apparu: électrosensibilité, ou l’impression de ressentir des symptômes en présence de ces appareils. Le Détecteur de rumeurs a fouillé la théorie.


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Ce texte est le quatrième de la série du Détecteur de rumeurs sur les champs électromagnétiques:

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L’origine de la rumeur

Dès le début des années 1980, des médecins norvégiens rapportaient l’apparition d’éruptions cutanées sur le visage de certains utilisateurs de terminaux vidéos. En 1991, le médecin américain Willian Rea aurait été le premier à utiliser le terme « sensibilité aux champs électromagnétiques ». L’expression « hypersensibilité électromagnétique » est ensuite employée en 1997 par un groupe d’experts européens.

Lors d’une rencontre à Prague en 2004, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) a proposé d’avoir plutôt recours au terme « intolérance environnementale idiopathique attribuée aux champs électromagnétiques ». Cette appellation savante reflète le fait qu’on ne disposait pas de preuves d’un lien entre l’exposition aux champs et l’apparition de symptômes.

Qu’est-ce que l’électrosensibilité?

Selon une publication de 2016 de l’Institut national de santé publique du Québec (INSPQ), l’électrosensibilité est une condition par laquelle une personne aux prises avec des problèmes de santé « parfois invalidants » attribue ses symptômes à une exposition à diverses sources de champs électromagnétiques (fils électriques, appareils électriques, lignes à haute tension, appareils de communication sans fil, réseaux sans fil).

Les symptômes en question varient d’une personne à l’autre (fatigue et épuisement, troubles du sommeil, maux de tête et acouphènes, stress, etc.). Dans un document de synthèse paru en 2021 dans la revue Environnement, Risques et Santé, on lit qu’il n’est pas possible de poser un diagnostic en raison du caractère subjectif de ces symptômes. 

Les champs électromagnétiques ont-ils des effets connus?

Dans un autre article de synthèse paru en 2021, Olivier Merckel, de l’Agence française de sécurité sanitaire de l’environnement et du travail, rappelle que les champs électromagnétiques transportent de l’énergie qui peut interagir avec la matière vivante. Dans le cas des basses fréquences, cette énergie peut donner naissance à un courant électrique, ce qui pourrait causer des symptômes similaires à ceux d’une électrocution. Pour ce qui est des hautes fréquences, cette énergie est plutôt transformée en énergie mécanique puis thermique, ce qui pourrait provoquer des brûlures ou de l’hypothermie.

Cependant, pour observer de tels effets, l’intensité doit être beaucoup plus élevée que ce à quoi nous sommes exposés dans le quotidien. De plus, ces effets ne correspondent pas du tout aux symptômes rapportés par les personnes électrosensibles (pour aller plus loin, voir notre texte 7 questions sur les champs électromagnétiques).

A-t-on trouvé un lien de cause à effet?

Auteur d’une revue de la littérature scientifique sur le sujet parue en 2021, le biochimiste finlandais Dariusz Leszczynki souligne que plusieurs études sur l’électrosensibilité sont basées sur des questionnaires auprès de la population qui présentent plusieurs problèmes méthodologiques:

  • Les participants recrutés sont souvent des personnes intéressées par le sujet ou se disant électrosensibles.
  • Les symptômes observés sont très nombreux, non spécifiques (c’est-à-dire qu’ils peuvent avoir plusieurs causes différentes) et auto-rapportés.
  • Ces études ne comportent généralement pas de mesures de l’exposition.
  • Les chercheurs ne tiennent pas toujours compte des « facteurs confondants », c’est-à-dire ceux qui peuvent introduire un biais.
  • Elles ont souvent peu de participants.

Une méta-analyse réalisée en 2012, qui avait évalué plusieurs études de ce type, était aussi arrivée à la conclusion que ces études ne permettaient pas de conclure à une association entre l’exposition aux champs électromagnétiques et des symptômes d’électrosensibilité.

D’un autre côté, des études où on expose des personnes se disant électrosensibles à des champs électromagnétiques en laboratoire ont aussi été réalisées. La plupart n’ont pas détecté d’effets et n’ont donc pas établi de corrélation, remarque également Dariusz Leszczynki. De plus, lorsqu’on demandait aux participants électrosensibles s’ils pouvaient déterminer si la source de champs électromagnétiques était en marche ou non, ils en étaient incapables.

Enfin, selon le rapport de l’INSPQ cité plus haut, seulement une minorité des études mesurant des paramètres objectifs (associés au système nerveux autonome, à la formule sanguine, aux fonctions cognitives et sensorielles, au système immunitaire et au sommeil) ont observé des effets chez les participants disant souffrir d’électrosensibilité. Cependant, ces résultats n’ont pas pu être reproduits ou semblaient contradictoires.

Des études se sont penchées au fil des années sur le fonctionnement cérébral: par exemple, des études sur des souris ont suggéré que l’exposition aux ondes émises par des téléphones mobiles pourrait modifier les performances cognitives et la mémoire, voire même les améliorer.

Selon M. Leszcynski toutefois, le manque de qualités des études existantes ne signifie pas que l'électrosensibilité n'existe pas, mais plutôt que de meilleures études seraient nécessaires pour bien évaluer le phénomène.

Santé Canada considère de son côté qu’il n’existe pas de données scientifiques permettant d’affirmer que les symptômes attribués à l’hypersensibilité électromagnétique sont réellement causés par une exposition aux champs électromagnétiques.

Une autre cause possible?

La méta-analyse réalisée en 2012 suggère qu’il pourrait y avoir un lien entre l’exposition perçue et la sévérité des symptômes rapportés. Selon Dariusz Leszczynki, des études ont montré que si on fait croire aux participants que la source de champs magnétiques est en fonction, ils ont tendance à rapporter des symptômes plus sévères. Autrement dit, l’exposition factice en laboratoire semble suffisante pour déclencher, maintenir ou exacerber des symptômes. Des études ont également observé que le fait de voir un film documentaire sur les effets négatifs présumés des champs électromagnétiques augmente le risque de ressentir des symptômes lorsqu’on s’y croit exposé.

Cela ne suggère pas que les symptômes sont imaginaires, mais plutôt que la cause serait à chercher ailleurs.

Ces observations portent toutefois certains experts à croire qu’il pourrait s’agir d’un effet nocebo: en raison de la forte croyance que les champs électromagnétiques sont nocifs, le cerveau porterait attention à des signes de leur présence, expliquait en 2020 Maël Dieudonné, doctorant en sociologie au Centre Max Weber (France), qui a rédigé une thèse sur les hypersensibilités environnementales. Des symptômes de stress surviendraient alors, et ceux-ci seraient interprétés comme le résultat d’une exposition aux champs électromagnétiques.

Toutefois, le doctorant souligne que les personnes électrosensibles commencent généralement à ressentir des symptômes bien avant d’avoir été informées des effets attribués aux champs électromagnétiques. Selon lui, il serait aussi possible que ces gens aient développé des symptômes que le milieu médical n’a pas pu expliquer. L’absence de diagnostic aurait provoqué une détresse chez eux, ce qui les aurait amenés à chercher des explications, et la théorie de l’électrosensiblité donnerait un sens à leur situation.

 

Verdict

Bien que les personnes souffrant d’hypersensibilité électromagnétique expérimentent bel et bien des symptômes invalidants, les études qui existent à ce jour ne permettent pas de conclure que c’est l’exposition aux champs électromagnétiques qui est en cause.

 

Ce texte a été modifié le 16 novembre avec l'ajout de la remarque de M Leszcynski sur la nécessité d'avoir de meilleures études.

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