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Non, ce n’est pas une faute de frappe. C’était la graphie alors en vigueur qu’utilisaient les chimistes pour décrire leur champ d’intérêt, à l’époque de Marie Meurdrac (1610-1680).

C’est par hasard que je suis tombé sur cet ouvrage de chimie, le premier écrit par une femme. La chymie charitable et facile en faveur des dames a été publié pour la première fois en 1656. L’ouvrage a été réédité plusieurs fois au cours du 17e siècle; ce qui témoigne de son importance, à une époque où l’alchimie, et ses pratiques hermétiques, se transformait progressivement en science. Par la suite, grâce aux travaux menés par Lavoisier au siècle suivant, cette science est devenue l’un des fondements de la chimie moderne.

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L’ouvrage est fascinant en raison de l’aperçu qu’il donne des connaissances et des sujets d’intérêt de l’époque. Il est disponible dans sa version originale aux éditions du Centre national de la recherche scientifique de France CNRS* et également sur Internet à Gallica, le site numérique de la Bibliothèque nationale de France.

Conçu par Marie Meurdrac et présenté sous forme de manuel technique, La chymie charitable et facile en faveur des dames permet aux lecteurs de préparer des produits principalement utiles dans les domaines de la santé et de la beauté. Par ailleurs, dès l’avant-propos, l’auteure témoigne de la difficulté qu’a alors la société à accepter qu’une femme puisse faire étalage de ses connaissances. Elle explique : « […] je suis demeurée deux ans irrésolue; je m’objectais à moi-même que ce n’était pas la profession d’une femme d’enseigner; qu’elle doit demeurer dans le silence, écouter et apprendre sans témoigner qu’elle sait […] ». Malgré cela, elle conclut avec défi : « […] je me flatte que les esprits n’ont pas de sexe et que si ceux des femmes étaient cultivés comme ceux des hommes et que l’on employait autant de temps à les instruire, ils pourraient les égaler ».

L’ouvrage est divisé en six parties distinctes. Dans la première, Marie Meurdrac décrit les instruments et les techniques qu’elle utilise dans son laboratoire. Elle nous y apprend entre autres l’origine du bain-marie, utilisé pour chauffer des liquides, sans toutefois les amener à ébullition. Selon elle, « […] cette distillation porte le nom de Marie, la sœur de Moïse, le prophète ».

En deuxième partie, l’auteure se concentre sur la préparation de remèdes dérivés de plantes médicinales et, en troisième partie, traite des remèdes issus de matières animales. Bien que les méthodes d’extraction décrites dénotent des connaissances des techniques chimie de chimie, certains remèdes sont carrément fantaisistes. D’ailleurs, le passage suivant en est un bon exemple : « […] l’eau de cerfeuil fait sortir la pourriture de dedans le corps et tue les vers ». Et voici d’autres extraits pour le moins éloquents : « […] il est reconnu qu’un poulet tout vif coupé par la moitié et appliqué sur la tête fortifie le cerveau »; « […] un crâne humain réduit en poudre donnera d’excellents résultats contre l’épilepsie ».

En quatrième partie, Marie Meurdrac traite de la préparation de produits chimiques connus à l’époque, dont le vitriol (acide sulfurique) ou l’esprit de nitre (acide nitrique). La cinquième partie se concentre quant à elle sur des préparations plus élaborées pour la santé, où l’on trouve notamment une recette pour le mal d’oreille. L’un des ingrédients de base de ce remède est le laudanum, issu d’un mélange d’opium dans du vin. Par conséquent, il va sans dire que ce traitement était des plus efficaces.

C’est dans la sixième partie que Marie Meurdrac s’adresse plus spécifiquement aux femmes, à qui elle propose de nombreuses recettes destinées à la préparation de cosmétiques. L’auteure suggère entre autres à ses lectrices une lessive visant la croissance des cheveux, à base de « […] cendre de racine de chanvre et de trognons de choux tendre ». Certaines préparations sont résolument avant-gardistes; ce qui est notamment le cas d’une pâte permettant de « pour teindre le poil en noir ». Parmi les ingrédients de ce mélange se trouve la litharge d’argent, un terme désignant le sel de plomb. En présence du soufre contenu dans la chevelure, le sel de plomb produit du sulfure de plomb. Ce dernier étant noir, on peut donc déduire que le traitement suggéré par Marie Meurdrac est à tout le moins plausible. Soulignons d’ailleurs que c’est de ce principe qu’a été mis au point, trois-cents ans plus tard, le produit Grecian Formula, qui contient quant à lui de l’acétate de plomb**.

En cette Année internationale de la chimie, je propose un toast en l’honneur de Marie Meurdrac***, qui a courageusement combattu les préjugés pour devenir « chymiste » à part entière.

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*Il est amusant de noter que le livre est aussi disponible à amazon.ca, avec la mention « auteur anonyme ».

**Dû à la présence de plomb, cette formulation de Grecian Formula est interdite au Canada et en Europe, où le citrate de bismuth remplace le sel de plomb.

***qui nous aurait alors peut-être suggéré quelque chose à base de fleurs de romarin, excellent pour la santé.

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