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Avec la réglementation qui restreint l’utilisation du bisphénol A, l’industrie se tourne vers de nouvelles substances pour le remplacer. Le Détecteur de rumeurs a vérifié ce qu’on sait des risques de ces substituts.


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Le bisphénol A (BPA) est une substance industrielle utilisée pour produire un plastique transparent, ou polycarbonate (PC): on le retrouve donc, entre autres, dans des bouteilles d’eau, d’anciens types de biberons en PC, des contenants pour la conservation des aliments, etc. On le retrouve aussi dans les résines recouvrant l’intérieur des boîtes de conserve.

Cette substance est également utilisée comme développeur couleur dans les papiers thermiques (reçus de caisse ou autocollants pour étiqueter les aliments), ce qui lui a valu de réapparaître récemment dans l’actualité. En 2019, des chercheurs chinois ont mesuré sa présence ou celle d’alternatives dans 201 produits du papier.

Diminuer l’exposition au BPA

Au Canada, le BPA est considéré depuis 2008 comme une substance constituant un danger pour la santé humaine. Il peut en effet causer des perturbations hormonales et affecter le développement et la reproduction.

Pour cette raison, la production, l’importation et la vente de biberons en polycarbonate contenant du BPA sont interdites au Canada depuis 2010 (et aux États-Unis depuis 2012). Les risques sont plus grands pendant le développement des enfants. Selon Santé Canada, cette approche de gestion du risque aurait permis une diminution de 96 % de l’exposition des nourrissons à cette substance. Par ailleurs, depuis janvier 2020, la Commission européenne interdit la présence de BPA dans le papier thermique à une concentration égale ou supérieure à 0,02 % du poids.

À la recherche d’alternatives

Ces différentes mesures réglementaires ont poussé les fabricants à le remplacer par d’autres substances, notamment le bisphénol S (BPS) et le bisphénol F (BPF), qui est moins étudié.

Par exemple, selon une enquête menée par l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA), la quantité de BPS utilisée dans les papiers thermiques a doublé entre 2016 et 2017. Depuis, des études réalisées en Chine en 2019, en Australie en 2022 et à Montréal en 2023, ont détecté du BPS dans la majorité, sinon la totalité, des papiers thermiques testés.

Un remplacement regrettable?

Pourtant, selon cette enquête de l’ECHA, le passage du BPA au BPS ne règle rien puisque ces deux substances sont très similaires et pourraient donc avoir les mêmes effets négatifs sur la santé.

Le fait de passer d’une substance dangereuse à l’autre est un phénomène connu appelé « remplacement regrettable », explique le Food Packaging Forum, un organisme qui recueille et transmet de l’information sur les matériaux utilisés dans l’industrie alimentaire. Ce concept signifie que la mise sur le marché d’une nouvelle substance dont on ignore les dangers implique que plusieurs décennies pourraient s’écouler avant qu’elle soit finalement interdite, s'il s'avère qu'elle présente les mêmes risques.

Pas de traces de BPS, sauf dans les étiquettes?

Selon l’Agence canadienne d’inspection des aliments (ACIA), aucune trace de BPS n’a été détectée dans 491 échantillons d’aliments testés dans le cadre de leur enquête entre 2016 et 2017.

Cependant, dans leur étude, les chercheurs montréalais ont observé que le bisphénol S se trouvait dans les étiquettes thermiques apposées sur certains produits et que l'encre parvenait à traverser l’emballage plastique et à migrer dans des aliments comme le poisson. Les produits testés par l’ACIA, eux, étaient plus variés, et souvent dans des pots ou des bouteilles de verre ou de plastique.

Selon les auteurs montréalais, la consommation de poisson contaminé mènerait à une exposition quotidienne pouvant aller jusqu’à 1,81 μg/kg de poids corporel pour les individus qui en mangent beaucoup. Ces niveaux sont supérieurs à ceux mesurés pour une exposition par la peau lors de la manipulation de papier thermique.

Par ailleurs, comme beaucoup d’aliments ont des étiquettes thermiques, l’exposition au BPS dans la population pourrait être potentiellement plus élevée, ajoutent les scientifiques.

Les dangers allégués du BPS

Les risques associés au BPS sont connus depuis plusieurs années. Selon une revue des études sur les alternatives au BPA publiée en 2015, le BPS et le BPF auraient le même niveau d’activité hormonale que le BPA et les mêmes effets de perturbation endocrinienne. Une étude réalisée en Suisse la même année et une autre menée aux Pays-Bas en 2017 arrivaient à des conclusions similaires.

Une étude française parue en 2016 avait notamment montré que l’exposition au BPS pendant la grossesse pourrait augmenter les risques d’obésité chez la souris. Des chercheurs de Calgary avaient observé en 2015 que le BPS modifie le développement neuronal des poissons-zèbres et les rend hyperactifs. Les auteurs soulignent toutefois que des études chez l’humain seront nécessaires pour déterminer l’effet sur les foetus.

Enfin, une étude chinoise a montré en 2018 que la durée de la grossesse était plus longue chez les femmes enceintes exposées à de plus grandes concentrations de BPS.

Mais d’autres avaient tiré la sonnette d’alarme beaucoup plus tôt: dès 2020, le Comité scientifique sur les aliments de la Commission européenne avait autorisé l’utilisation du BPS dans les plastiques en contact avec les aliments, si sa migration ne dépassait pas 0,05 mg par kilogramme d’aliment. Cette décision était basée sur des tests de migrations et des essais en laboratoire. L’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) soulignait d’ailleurs que cette autorisation avait été accordée malgré le fait qu’il était alors impossible d’établir une dose journalière tolérable.

En 2015, l’Agence de protection de l’environnement (EPA) des États-Unis a rédigé un rapport d’évaluation des risques de plusieurs substances alternatives au BPA dans le papier thermique. Selon le rapport, les risques associés à une exposition répétée au BPS seraient élevés, alors que les risques d’effets carcinogéniques et neurologiques seraient modérés. La conclusion des auteurs : aucune substance n’est clairement plus sécuritaire que les autres. Le gouvernement du Canada a d’ailleurs proposé en 2020 de regrouper 343 produits chimiques apparentés au BPA pour qu’ils soient éventuellement soumis au même plan de gestion des risques.

La même année, l’EFSA a évalué de nouvelles informations concernant les risques du BPS. De plus, en janvier 2023, le bisphénol S a été ajouté par l’Agence européenne des produits chimiques (ECHA) comme candidat pour la liste des substances grandement préoccupantes.

 

Verdict

Les substances utilisées pour remplacer le BPA sont souvent similaires à celui-ci et les scientifiques ne disposent pas d’évaluations complètes des risques pour déterminer si elles sont sécuritaires. Cependant, les informations disponibles suggèrent qu’elles présentent des risques analogues et que la prudence devrait être de rigueur.

 

Photo:  Monticello / Dreamstime.com

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