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Le journal scientifique Nature vient de gagner sa cause devant la Haute Cour de Londres contre l’éditeur d’un journal de physique théorique, Chaos, Solitons and Fractals.

Le rédacteur en chef de ce journal, Mohamed El Naschie, poursuivait Nature en diffamation pour un article qui, d’après lui, portait atteinte à sa réputation. Dans l’article publié dans le numéro de novembre 2008 de Nature (ci-contre), le journaliste Quirin Schiermeier alléguait qu’El Naschie profitait de ses fonctions pour publier ses propres articles. Il donnait en exemple un numéro où cinq des 36 articles publiés avaient été écrits par El Naschie et le fait que, dans le cours de l’année, près de 60 articles publiés dans le journal provenaient aussi de lui. D’après les scientifiques contactés par Schiermeier, ces articles étaient de médiocre qualité et ils ne semblaient pas avoir été proprement révisés par des pairs, une pratique qui est la norme dans le monde scientifique. L’article indiquait aussi que plusieurs des affiliations et des postes honorifiques revendiqués par El Naschie ne pouvaient pas être confirmés.

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El Naschie s’était tourné vers les cours d’Angleterre pour sa poursuite, car les lois y sont très partiales contre les personnes accusées de propos diffamatoires. Alors que dans la plupart des juridictions l’accusé est présumé innocent à moins que la partie plaignante ne prouve sa culpabilité, en Angleterre, dans les cas de diffamation, c’est l’inverse qui prévaut. Un propos est automatiquement jugé diffamatoire à moins que la personne accusée du propos ne prouve le contraire. En Angleterre, le fait de questionner publiquement les opinions ou les pratiques de quelqu’un ou d’une entité peut vous amener à être accusé de diffamation pour atteinte à la réputation. Cette situation fait que l’Angleterre est devenue, au fil des années, une destination de «tourisme diffamatoire» (libel tourism). Les cas de diffamation y sont présentés, car c’est là que les parties plaignantes y ont les meilleures chances de gagner leur cause.

Pour les groupes luttant pour la réforme des lois sur la diffamation, le cas d’El Naschie c. Nature est un exemple où ces lois sont utilisées pour museler le journalisme scientifique. Mais le fait que Nature ait été acquitté laisse à penser que les choses commencent à changer en Angleterre. L’argument principal de Nature étant que le reportage était factuel et dans l’intérêt public.

Un cas semblable avait eu lieu avec le journaliste scientifique Simon Singh. En 2008, il avait été poursuivi par l’association chiropratique britannique pour un article publié par The Gardian dans le cadre de la promotion de son livre Trick or Treatment? Alternative Medicine on Trial, un livre écrit conjointement avec Edzard Ernst*. L’article attaquait la promotion par les tenants de la chiropratique de certains traitements que Singh qualifiait de bidons (bogus). Il mentionnait notamment l’utilisation de manipulations chiropratiques pour les problèmes infantiles, tels que coliques, asthme, insomnie, incontinence, problèmes d’alimentation et infections auriculaires. Simon Singh avait été condamné en première instance, mais sa condamnation avait été renversée en appel, la cour jugeant que Singh avait simplement exprimé son opinion dans le cadre juridique de «commentaire loyal» (fair comment) sur un sujet d’intérêt public.

Bien que dans les deux cas précédents la justice ait triomphé, les frais juridiques que le journal Nature et Simon Singh ont dû débourser ont été énormes. Toutefois, la bonne nouvelle, c’est que ces deux cas ont amené le gouvernement britannique à proposer des changements en profondeur de la législation sur la diffamation. On peut espérer que, dans le futur, le «tourisme diffamatoire» sera remplacé par le tourisme tout court.

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*Edzard Ernst était un des participants du Symposium Lorne Trottier de 2011 sur la médecine douce. Sa présentation a été enregistrée et est disponible sur le Canal Savoir aux dates suivantes: le lundi 23 juillet 2012 à 7h00, le mardi 24 juillet 2012 à 13h00, le mercredi 25 juillet 2012 à 6h00 et le vendredi 27 juillet 2012 à 17h00.

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