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« L’inventeur d’une source inépuisable d’énergie reproduisant celle du Soleil, mais à la température ambiante, est décédé le 3 août dernier. » C’est probablement de cette façon que Martin Fleischmann aurait voulu que les médias rapportent sa mort. En fait, celle-ci est passée quasiment inaperçue. Le contraste est particulièrement frappant pour ceux d’entre nous qui nous souvenons de la frénésie médiatique qui a suivi la conférence de presse du 23 mars 1989 de Martin Fleischmann avec Stanley Pons à l’Université de l’Utah.

Ce jour-là, les deux scientifiques annoncèrent devant les médias du monde entier qu’ils avaient observé la production d’un excès de chaleur lors de l’électrolyse d’une solution d’eau lourde avec des électrodes au palladium. Pour les deux chercheurs, la seule explication possible est qu’une réaction nucléaire avait eu lieu. Pour eux, les atomes de deutérium (atomes d’hydrogène avec un neutron en plus) de l’eau lourde avaient été absorbés dans le palladium. Une fois confinés dans la structure du métal, la proximité avait causé la fusion de leurs noyaux. Le même type de réaction qui nous fournit l’énergie solaire, ou qui est la base des armes thermonucléaires (bombes à hydrogène). Mais alors que dans ces cas la fusion des noyaux d’hydrogène requiert des températures de millions de degrés, l’expérience de Pons et Fleischmann se passait à la température ambiante, d’où le terme de « fusion froide » (cold fusion) adopté pour décrire le phénomène.

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La portée de l’expérience décrite par Pons et Fleischmann est particulièrement marquante quand on sait que, depuis la Deuxième Guerre mondiale, des scientifiques du monde entier travaillaient sur la production contrôlée de l’énergie de fusion. Au moment de l’annonce de Pons et Fleischmann, plus de deux milliards de dollars avaient déjà été dépensés sans succès*. Les deux scientifiques, pour leur part, affirmaient qu’ils avaient réussi à recréer le phénomène dans un bac en plastique avec une mise de fonds de moins de 100 000 dollars!

Comme on peut se l’imaginer, l’annonce de la découverte d’une source inépuisable d’énergie à bas prix, et sans impact majeur sur l’environnement, avait été accueillie, initialement au moins, avec enthousiasme. Mais, très rapidement, des doutes s’installèrent. Tout d’abord, pour les sceptiques, si une réaction de fusion avait vraiment eu lieu, Pons et Fleischmann ne seraient plus là pour en parler. Ils auraient été tués par le flux de neutrons émis par la réaction. Ensuite, dans les jours et les semaines qui ont suivi la découverte, des scientifiques du monde entier ont essayé de répéter l’expérience, sans succès. Dès la fin avril 1989, un peu plus d’un mois après la conférence de presse, le concept de fusion froide était discrédité, et Pons et Fleischmann devenaient la risée de la communauté scientifique. Le terme « Cold fusion » avait été remplacé par « Con-fusion ».

Les choses se seraient passées autrement, et les réputations de Pons et Fleischmann n’auraient pas été entachées, si, au lieu de donner une conférence de presse, les scientifiques avaient utilisé la méthode traditionnelle pour annoncer leur découverte. S’ils avaient publié leurs résultats dans un journal scientifique, ces derniers auraient été tout d’abord revus par des pairs et, ensuite, même une fois publiés, ouverts à la critique générale.

Comment se fait-il que deux scientifiques de renom aient accepté de déroger aux normes établies de la recherche? C’est là un des aspects les plus intéressants de la saga de la fusion froide et qui demande une explication.

Après des résultats préliminaires qu’ils jugeaient encourageants, Pons et Fleischmann avaient fait une demande de subvention au Département de l’énergie des États-Unis pour poursuivre leurs travaux. Un des scientifiques chargés d’examiner leur proposition était Steven Jones, de l’Université Brigham Young, également située en Utah. Il se fait que ce dernier travaillait sur un projet dans le même domaine, la fusion à froid par muons. Après s’être rencontrés, les chercheurs des deux universités arrivèrent à la conclusion que pour maximiser la portée de leurs travaux respectifs, ils enverraient leurs résultats pour publication le même jour. Ils devaient se rencontrer le 24 mars pour envoyer simultanément leurs articles respectifs à Na ture, le prestigieux journal scientifique. Le 23 mars, Pons et Fleischmann, sans avertir Steven Young, convoquaient la presse.

Il n’est pas clair pourquoi Pons et Fleischmann firent preuve d’un tel manquement à l’éthique scientifique. Il semble qu’ils n’aient pas pu résister à la pression de l’administration de l’Université de l’Utah qui voulait, pour des questions de brevet, établir l’antériorité de la « découverte ».

Malgré le fiasco, les deux scientifiques furent engagés par une filiale de Toyota, en France, pour poursuivre leurs travaux sur la fusion à froid. Toutefois, à la suite d’un différend avec Pons, Fleischmann retourna en Angleterre, son pays d’origine, en 1995. Le contrat de Pons ne fut pas renouvelé par Toyota en 1998. Après quoi le laboratoire ferma ses portes sans avoir, malgré les 40 millions de dollars investis, produit quelque résultat suggérant que la fusion à froid était autre chose qu’une chimère. Le côté positif de l’affaire, c’est que cela a permis à Pons de découvrir les charmes de la France. Il a renoncé à la citoyenneté américaine et est maintenant un Français à part entière. Je me demande pour qui il a voté aux dernières élections présidentielles...

* Le projet ITER (International Thermonuclear Experimental Reactor), un consortium de plusieurs pays, se propose de construire un réacteur de fusion à Cadarache, dans le sud de la France. On prévoit que les travaux vont durer plus de trente ans et qu’ils coûteront au moins 10 milliards de dollars.

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