
L’industrie du « captage et stockage du carbone » va franchir cette année un seuil important: un million de tonnes de CO2 retirées de l’atmosphère. Le problème, c’est que pour justifier l’existence de cette industrie, il lui faudrait en retirer des milliards.
À lire également
C’est une industrie encore jeune: les technologies ne permettent pas encore de retirer le CO2 à grande échelle. Mais bien que les plus sceptiques doutent qu’il soit jamais possible de le faire à faible coût, cela n’empêche pas ses promoteurs de présenter cela comme un outil incontournable dans la lutte au réchauffement climatique : plus on retirera du CO2 de l’atmosphère pour l’emprisonner —dans des mines abandonnées ou au fond des océans— et moins il y en aura pour s’accumuler dans l’atmosphère et accroître l’effet de serre.
Mais le problème est que, pour faire une telle différence, il faudra en retirer beaucoup: des milliards de tonnes chaque année d’ici le milieu du siècle. Par exemple, le Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), dans un rapport publié en 2019, faisait du « captage et séquestration du carbone » (CSC) une des solutions à envisager pour l’élimination de 100 à 1000 milliards de tonnes de CO2 de l’atmosphère au cours du 21e siècle. L’Institut canadien pour des choix climatiques incluait en 2021 le CSC parmi ses 60 scénarios pour que le Canada atteigne la carboneutralité.
Abonnez-vous à notre infolettre!
Pour ne rien rater de l'actualité scientifique et tout savoir sur nos efforts pour lutter contre les fausses nouvelles et la désinformation!
En tout, ce sont près de 37 milliards de tonnes (ou gigatonnes) qui ont été émis dans le monde en 2024.
Le calcul du million de tonnes retirées qui sera atteint en 2025 provient d’une firme américaine, CDR, qui effectue un suivi de ces efforts émergents, et qui a présenté ces données lors d’un sommet sur les technologies de captage de carbone, tenu en mai à New York. Pour donner un ordre de grandeur, le New Scientist estime que ce million de tonnes équivaut à retirer 13 minutes d’une année complète d’émissions de gaz à effet de serre.
Les opposants aux efforts entrepris dans le CSC décrivent même cette technologie comme une forme de diversion: investir dans le captage du carbone serait à leurs yeux une façon de pouvoir ensuite prétendre avoir moins besoin de réduire les émissions. Ce débat avait été une partie importante des controverses qui avaient secoué la 28e conférence annuelle sur le climat (COP28), en décembre 2023: entre les pays qui réclamaient un engagement à « sortir » le plus vite possible des carburants fossiles et ceux qui ne voulaient que s’engager à les « diminuer », le deuxième groupe avait gagné et le CSC avait été inclus dans les calculs. L’industrie des carburants fossiles fait une promotion active, notamment lors de ces rencontres annuelles, des technologies de CSC.
Et de fait, ces dernières années ont vu naître plusieurs compagnies dans ce secteur, moussant chacune leur solution, depuis la capture du CO2 directement dans l’atmosphère, jusqu’à son interception à la sortie des usines. Ces start-up essaient aussi de faire naître un marché, c’est-à-dire qu’une grande compagnie polluante pourrait compenser ses émissions de CO2 en payant des tiers pour qu’ils séquestrent une certaine quantité de CO2 —de la même façon qu’elle peuvent compenser des émissions en payant pour planter des arbres. Mais le marché en question tarde à prendre son envol: « presque personne n’est intéressé », sanctionnait le Wall Street Journal en avril.