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La science en général, et les neurosciences en particulier, ont le don de provoquer un drôle de sentiment que j’appellerais « découragement-émerveillement ». Il nous envahit par exemple lorsque lisant à propos d’une nouvelle découverte, on se rend compte que celle-ci remet en question tout un pan de la discipline qu’on avait pris longtemps à comprendre. Et en même temps, la nouveauté est si surprenante qu’on ne peut qu’être ébahi devant tant de raffinement. C’est de l’une de ces études publiée récemment dont j’aimerais vous parler en ce lundi matin de novembre, question de bien se réveiller pour commencer la semaine ! En gros, on vient de confirmer que ce ne sont pas les neurones qui sont les unités computationnelles de base du cerveau humain, mais que ce peut être simplement un petit bout de dendrite. Rien que ça…

Il faut peut-être d’abord rappeler ici que selon la conception du neurone qui prévaut depuis plus d’un demi-siècle, ceux-ci peuvent être ramener à une espèce de point pas très intelligent. Enfin si, mais une intelligence plutôt simple qui consiste à additionner à tout moment ce qu’il reçoit comme signaux excitateurs ou inhibiteurs, et si cette somme dépasse un certain seuil au début de son axone, alors ce neurone envoie à son tour le long de cet axone un signal nerveux vers d’autres neurones. C’est ce genre de « neurone-point » que les ordinateurs qui font du « deep learning » utilisent dans leurs modèles.

Or depuis un certain temps déjà, des données s’accumulent à l’effet que les dendrites des neurones pyramidaux de la couche 2/3 du cortex humain seraient capables, localement, d’intégrer des signaux et même d’effectuer des opérations logiques de base. Il faut rappeler ici, pour saisir l’ampleur de ce changement de paradigme, que les dendrites étaient donc avant considérées que comme de simples branches qui recevaient les signaux des autres neurones. Le courant électrique s’y propageait alors passivement, et perdait donc de l’intensité avec la distance, arrivant parfois très faiblement au corps cellulaire et au début de l’axone. À quoi pouvait donc servir les connexions pourtant très nombreuses que recevaient pourtant ces longues dendrites ?

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C’est à cette question que répond l’article de Albert Gidon et ses collègues publié dans la revue Science en janvier 2020 et intitulée : Dendritic action potentials and computation in human layer 2/3 cortical neurons. Et leur réponse est surprenante : à faire des calculs complexes, dont certains s’apparentent à des opérations logiques dont on pensait même le neurone au complet incapable de les réaliser (le fameux OU exclusif, ou « XOR ») !

On a pu démontrer que ces calculs semblent être rendus possibles par la présence d’influx nerveux dépendant du calcium dans ces dendrites. La présence de ceux-ci était déjà connue dans les dendrites même si leur identification au départ avait surpris, les influx nerveux, ou potentiels d’action dans le jargon des neurobiologistes, ayant été associés au départ au mécanisme de prédilection des axones pour transmettre le signal nerveux sur de longues distances sans perte de signal. Par la suite, on a compris que ces potentiels d’action dendritiques (« dendritic spike », en anglais) permettait aux événements qui surviennent sur les dendrites mais très loin du corps cellulaire de se rendre jusqu’à celui-ci et de l’exciter juste assez pour le mettre dans un état favorable à une excitation prochaine. Ceux qui s’intéressent à cet aspect de la computation neuronale disent que ces « dendritic spikes » amènent le neurone dans une état « prédictif » où il pourra réagir plus promptement à des événements subséquents associés.

Mais ce qui surprend ici, c’est davantage la dynamique particulière de ces potentiels d’action provoqués par l’entrée dans le dendrite d’ions calcium (alors que dans l’axone ce sont des ions sodium qui entrent). Ils ont ainsi, comme les potentiels d’action de l’axone, un seuil qui doit être atteint pour qu’ils soient déclenchés. En augmentant progressivement l’intensité de la stimulation des dendrites, Gidon et son équipe ont pu constater que des influx nerveux au calcium étaient déclenchés quand on atteignait ce seuil. Mais la surprise est venue quand on continuait d’augmenter l’intensité de la stimulation électrique au-delà de ce seuil : leur amplitude se mettait à diminuer (les potentiels d’action dans les dendrites ont une amplitude plus variable que ceux le long de l’axone) !

Je ne m’aventurerai pas plus loin dans la nature des mécanismes moléculaires à la base de ces capacités computationnelles des dendrites. Sinon pour remonter au niveau du neurone entier pour dire que ça revient un peu à dire qu’il serait, au fond, formé de deux étages : une première où se fait un premier traitement beaucoup plus complexe qu’on ne le croyait de l’information reçue; et un deuxième où ces différentes « synthèses » provenant de différentes dendrites est envoyé vers le corps cellulaire qui va à son tour les traiter.

Sur ce, je vous remercie d’avoir partagé avec moi mon découragement-émerveillement scientifique du jour…

* * *

Je voudrais aussi vous signaler un autre billet de blogue que j’ai publié hier pour souligner qu’il y a sept ans déjà, le 21 novembre 2014, je lançais ce site web « Éloge de la suite ». Comme je l’explique au début du billet, exactement un siècle plus tôt, le 21 novembre 1914, naissait Henri Laborit auquel le site est consacré. Comme je l’écrivais aussi :

« Initialement conçu pour faire la promotion de mon film « Sur les traces d’Henri Laborit », ce site est rapidement devenu un « attracteur » pour tour ce qui concerne la vie et l’œuvre de Laborit. En ce sens que ce que j’y avais initialement publié sur ses idées et ses livres a incité de nombreuses personnes à m’écrire au fil des ans pour me signaler des documents sur ou de Laborit, qu’ils soient écrits, audio ou vidéo. C’est quelques exemples de ceux-ci que j’aimerais vous partager aujourd’hui pour marquer le début de la huitième année d’Éloge de la suite. »

Je donne