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Je continue cette semaine la publication du « journal de bord » de mon livre en y publiant certains encadrés qui n’ont pu, faute d’espace, trouver leur place dans le bouquin. Celui-ci entretenant déjà des rapports étroits avec le site web Le cerveau à tous les niveaux et son blogue grâce à différents renvois, cette conversion ne fait donc qu’étendre une approche déjà présente depuis le début du projet. Je publie donc aujourd’hui un premier encadré ainsi retiré du chapitre 9. Il parle de la descente progressive du larynx dans la lignée humaine, un phénomène dont la recherche a fini par montrer, après de longs débats, le caractère probablement non essentiel au langage.

Vers la fin des années 1960, Philip Lieberman constate que le larynx de l’être humain adulte est situé plus bas que celui des singes dans le conduit vocal et formule sa théorie de la descente du larynx pour expliquer pourquoi l’humain peut parler et pas le singe. Autrement dit, c’est cette particularité du larynx humain qui nous permettrait de produire les voyelles i/a/ou qui sont présentes dans toutes les langues du monde. Théorie appuyée par le fait que chez les bébés de quelques mois encore incapables de parler, le larynx n’est pas encore descendu. Et comme à l’époque ce qu’on savait de l’homme de Neandertal permettait de croire qu’il avait aussi un larynx non descendu, on en avait conclu que lui non plus ne pouvait pas parler, et que donc le langage n’avait pu apparaître que chez Homo sapiens il y a quelque 300 000 ans.

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Mais depuis on a pu montrer que : un enfant d’un an est capable de produire ces fameuses voyelles même si son larynx n’était pas encore à la « bonne place »; le larynx de Néandertal avait une position comparable à celui d’Homo sapiens, suite à l’analyse précise des os de son cou; l’observation de babouins en laboratoire à l’aide de nouvelles techniques de traitement du signal sonore a permis de constater qu’ils produisaient bel et bien des sons similaires aux voyelles (la belle bande-dessinée « Singes », de Aurel, en parle aussi pages 114 à 116).

Par conséquent, il y a 27 millions d’années, au moment où la branche Homo s’est différenciée des babouins et des macaques, il est très probable que cet ancêtre commun produisait les mêmes vocalisations que les babouins d’aujourd’hui, et que c’est donc dès ce moment que le conduit vocal a pu être utilisé pour autre chose que pour respirer ou déglutir.

Parce qu’il faut se rappeler que les petits des mammifères doivent téter le lait de leur mère et le déglutir sans s’étouffer, sinon ils meurent. C’est cette fonction de succion-déglutition, impliquant les lèvres, la langue et le pharynx, qui est première et permet au lait d’aller dans l’estomac et pas dans le larynx, la trachée et les poumons. C’est donc cette conformation anatomique dévolue à une fonction de nutrition qui a été réutilisé, en sens inverse si l’on peut dire, pour parler. Mais cette autre utilisation est venue avec des risques accrus de s’étouffer en mangeant, un compromis qui nous permet cependant de produire plus de sons différents.

Cela dit, la parole n’est pas qu’une question de tuyau, comme le croyait Lieberman, mais aussi une question de cerveau. Parce que coordonner tous les mouvements de l’appareil phonatoire pour parler demande de nombreuses capacités cognitives. Et ça demeure très difficile de dire si les régions impliquées dans la production de la parole proviennent aussi d’un recyclage lié à la déglutition ou bien si d’autres circuits moteurs se sont développés (Voir « Singes », pages 117 à 119).

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