Une leçon clinique à la Salpêtrière, tableau d'André Brouillet (détail).png

En lisant et relisant plusieurs informations sur le syndrome de Gilles de La Tourette, je m'interroge sur de possibles liens entre l'expression de ce trouble à travers les tics qui se manifestent et la conception que le système cérébral aurait pu se constituer à partir de fonctions primitives consistant d'abord à gérer une réserve d'énergie et, par la suite, à moduler et coordonner un ensemble de mouvements réflexes. Liens qui seraient bien sûr indirects et n'en constitueraient aucunement la cause mais plutôt une sorte de substrat nerveux.
 

Le syndrome de Gilles de La Tourette

Le syndrome de Gilles de La Tourette se caractérise par des tics qui se manifestent chez les personnes qui en sont atteintes. « Les tics peuvent avoir un statut ambigu en appartenant à la fois à la catégorie des réflexes ou des bruits dénués de sens et à celle des actes signifiants1. » Étant donné une double caractéristique de mouvements involontaires et de mouvements partiellement involontaires pour décrire les tics manifestes chez les personnes atteintes de ce syndrome, nous pouvons nous poser cette question : les tics ne peuvent-ils pas être conçus individuellement comme un ensemble de réflexes coordonnés? Pourquoi parler de coordination? Les tics en question peuvent se manifester par une grande variété de gestes d'une personne à l'autre et parfois même chez une même personne. Si certains sont des mouvements très simples tels que des tics faciaux ou l'émission de sons brefs, d'autres, en revanche, sont des mouvements élaborés : se gratter, ajuster ses lunettes, prononcer involontairement des mots ou de courtes phrases à répétitions. Cette deuxième catégorie de mouvements demande une coordination pour leur réalisation.

Quelles structures seraient responsables de cette coordination? Depuis plusieurs années, on soupçonnait que des structures sous-corticales étaient impliquées dans ce qu'on appelle des troubles hyperkinétiques. Des recherches se sont portées sur les ganglions de la base. Un des modèles se basant sur différentes études propose que les tics moteurs dans le syndrome de Tourette soient produits par un dysfonctionnement des circuits neuronaux impliquant les noyaux gris, le thalamus, le cervelet et le cortex moteur2.

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D'un autre côté, si le cortex moteur est impliqué dans le contrôle volontaire des mouvements, les tics des personnes atteintes du syndrome de Tourette pourraient nous suggérer que plusieurs circuits sous-corticaux pourraient contrôler des mouvements involontaires. Contrôler certes des mouvements involontaires mais pas forcément contrôler un enchaînement complexe de mouvements menant à la manifestation de comportements élaborés. Du moins tel que le cerveau des vertébrés supérieurs serait structuré car on peut imaginer des circuits permettant au cortex cérébral d'inhiber certaines potentialités des structures sous-corticales. Dès lors, on pourrait imaginer que les premiers organismes disposaient de circuits neuronaux pouvant être à l'origine de mouvements simples exigeant une coordination issue de la régulation d'un ensemble de réflexes. De l'intégration d'ensembles de réflexes en mouvements simples, l'évolution aurait conduit les systèmes nerveux à l'intégration de mouvements simples en comportements élaborés.

Le neurologue Oliver Sacks qui avait côtoyé plusieurs personnes atteintes du syndrome de Tourette a fait état de ses observations3 en expliquant qu'elles tentent tant bien que mal de réprimer leurs tics et que, si elles y parviennent pendant un moment, une énergie s'accumule alors dans leur système nerveux qui finit par s'extérioriser contre leur volonté. D'où le fait qu'on retrouve parfois l'expression de mouvements semi-involontaire ou partiellement involontaire. On a l'habitude d'interpréter le débordement d'énergie des personnes atteintes de tourettisme comme un trop plein d'énergie. Pourtant on peut imaginer que le cerveau se serait structuré en préservant une fonction primitive de réservoir énergétique et en l'intégrant aux fonctions cérébrales qui s'y seraient ajoutées par la suite. Partant de là, ce débordement d'énergie, chez les personnes ayant ces tics, pourrait alors se concevoir comme un défaut de contrôle de cette réserve énergétique qui activerait de façon intempestive différents circuits nerveux de la motricité. En fait, Sacks nous fait part de l'exemple de certaines des personnes atteintes de ce trouble neurologique qui parviennent à utiliser cette réserve d'énergie pour effectuer une activité qui leur tient à cœur : un sport tel que la natation dans l'un des cas, un exercice comme le vélo stationnaire, jouer d'un instrument de musique, ou même la pratique d'interventions chirurgicales (!) dans l'un des exemples qu'il a documentés4. La chose intéressante dans ce dernier cas est que la quantité d'énergie nécessaire à l'activité musculaire ici est modérée. Par contre, on imagine qu'une grande quantité d'énergie soit requise dans le traitement de l'information pour la concentration du chirurgien. Toute cette énergie nerveuse n'étant plus disponible, les tics disparaissaient chez cette personne pendant qu'il opérait ses patients5. Selon cette conception, cela indiquerait que dans le cas de personnes sans troubles neurologiques, cette quantité d'énergie serait disponible dans le cerveau sans avoir à être utilisée immédiatement.

En dépit de ces indices faisant appel à des arguments reposant sur certaines observations mentionnées ici et dans les articles précédents, il faudra encore de nombreux travaux pour parvenir à mettre en lumière les phénomènes qui rendent compte dans une perspective évolutive de la complexité du fonctionnement cérébral et de ses dysfonctionnements. 

 

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