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La science provoque un gros complexe d’infériorité. A preuve, il suffit au premier venu d’émettre une opinion en la remplissant d'un jargon scientifique, et hop! Nombreux sont ceux qui s’effacent. Il a l’air de savoir de quoi il parle, donc ça doit être vrai.

Résultat : un texte bien torché dans la page Opinion de La Presse, du New York Times ou du Monde, s’il parle de science, acquiert aux yeux d’une partie du public la même valeur qu’une recherche dans Nature. Un texte de vulgarisation acquiert la même valeur qu’une recherche. Une opinion prend valeur de fait.

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Variante : ce conférencier qui, à une récente rencontre des Sceptiques du Québec, se montre sceptique de la responsabilité humaine dans le réchauffement, parce qu’il n’aime pas le discours dit « catastrophiste ». Il a confondu l’opinion (celle de militants écologistes?) avec les faits.

Les faits : avec telle concentration de CO2, la température va augmenter de tant de degrés, d’où des conséquences (qui, elles, sont encore incertaines) sur l’acidité des océans, la calotte glaciaire ou le niveau des mers. L’opinion : est-ce « catastrophique »? Ça dépend pour qui, où, quand.

C’est la première de deux choses qu’oublient les scientifiques lorsqu’ils s’indignent de la tangente prise par des débats. Ils oublient que pour la majorité de la population, un scientifique qui « publie », ça ne veut rien dire de particulier. À leurs yeux, une pétition, c’est tout autant valable. Un courriel contenant une phrase qui semble incriminante, aussi.

Puisque, n’est-ce pas, toutes les opinions se valent.

Respecter l’opinion des autres

Et ça, c’est la deuxième chose qu’on oublie tous : à quel point notre société, notre culture, a valorisé l’opinion. Puisque chacun a droit à la sienne, respectons celui qui dit que la Terre ne se réchauffe pas ou que les vaccins sont dangereux. Notre culture nous a préparé à voir deux politiciens débattre férocement alors qu’ils ont peut-être tous les deux raison, comme les avocats qu'ils sont souvent. En conséquence, on attend du journaliste qu’il accorde un temps de parole égal au pour et au contre.

Plusieurs auteurs ont vu dans cette attitude une revanche des sciences sociales. Elles ont tellement été « tassées » par les sciences pendant la première moitié du 20e siècle que dans la deuxième moitié, elles ont contre-attaqué : tout est relatif, il n’existe pas de vérité objective, toutes les opinions se valent. On appelle parfois cela le postmodernisme (voir encadré).

Le tout crée un mélange délétère : nous vivons un complexe d’infériorité face à la science, mais en plus, s’y superpose une valorisation des opinions contradictoires. Ces deux ingrédients contaminent inévitablement le traitement que les médias réservent aux sciences... de même que l’absence de traitement.

Mais gardons-nous de blâmer les médias : car ces deux ingrédients, ils décrivent notre culture. Parmi ceux qui ne sont pas scientifiques, combien n’ont conservé de leurs cours de science à l’école qu’un souvenir désagréable? Dès lors, pas étonnant qu’ils choisissent de baisser les bras devant un débat qui semble —à tort— impossible à trancher : je suis ignorant, donc je laisse « ceux qui savent » décider à ma place .

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La série de billets La construction de la science pour les nuls:

1 – Comment distinguer une opinion d’un fait 2 – Le vide à mouvement perpétuel 3 – La victoire de l’opinion 4 – Quand un scientifique dit blanc, il veut dire beige! 5 – Le syndrome de la recherche unique 6 – Le syndrome de la découverte

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