video et réseaux sociaux

La récente campagne électorale fédérale l’a montré : les politiciens passent de plus en plus par les réseaux sociaux pour rejoindre les citoyens. « Cela encourage l’approche d’une information plus divertissante, avec des mèmes partisans et des messages personnalisés», explique la doctorante en science politique Colleen McCool, de l’Université Concordia.

La co-organisatrice du colloque de l’ACFAS sur L’infodivertissement comme paradigme de communication politique contemporaine , qui avait lieu lundi à Montréal, relève que les partis politiques fonctionnent selon la logique des plateformes, et non plus celle des médias traditionnels.

Bien qu’ils ne délaissent pas les émissions de variétés comme Tout le monde en parle ou La semaine des 4 Julie, les politiciens façonnent de plus en plus leur image publique en suivant les codes des Tiktok et autres Instagram.

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La doctorante constate ainsi une personnalisation dans la présentation des chefs, comme on l’a constaté avec le changement d’image de Pierre Poilièvre, du Parti conservateur: « un politicien plus doux et plus humain avec de nombreuses expositions de sa famille et même des révélations sur sa fille lors d’une balado », dit la chercheuse.

Les mèmes partisans représentent par ailleurs une stratégie de plus en plus populaire. Quatre des cinq principaux chefs s’y sont adonnés, ajoutant ainsi une touche d’humour et de proximité avec la caméra très proche de leur visage.

Il faut noter aussi la montée des médias alternatifs et de ce qu’on appelle les « news influenceurs »: toutes sortes de personnes qui présentent des nouvelles électorales sur des sites consacrés au gaming ou au chat. « Plusieurs chefs invités y ont répondu favorablement », note la chercheuse.

Place aux stratégies algorithmiques

Les stratèges politiques cherchent à tirer le meilleur avantage de l’algorithme et ce faisant, se soumettent à la gouvernance des grandes compagnies numériques. « Ce sont elles qui imposent ou bloquent certains types de contenus, comme Meta qui, au Canada, n’autorise plus les médias d’information » sur Facebook et Instagram, ajoute Mme McCool.

Cette communication mise sur le design et la culture des réseaux sociaux, dans une forme pensée par les fonctionnalités de la plateforme —mais sans trop en comprendre tous les dessous, puisque tout ce qui relève de l’algorithme est un secret d’entreprise.

« La moitié des nouvelles se plie donc plus au divertissement sur ces plateformes », souligne son collègue de l’Université Concordia, Robert Marinov. Il y a une priorisation de l’engagement qui facilite l’infodivertissement —obéissant plus à la logique de marché qu’à l’information.

C’est ce qu’a constaté l’étudiante au doctorat en science politique à l’Université Laval, Camille Arteau-Leclerc. Elle a analysé les publications sur Instagram des cinq principaux partis politiques et des six chefs au cours des élections québécoises de 2022. Ses travaux, encore préliminaires, confirment que l’arrivée des réseaux sociaux vient modifier le contenu des messages. « On cherche à influencer le vote avec la construction d’une image basée sur les émotions et les raccourcis décisionnels (liés à l’affect, à la sensibilité), ce qui est un bon vecteur pour véhiculer leur message sur ces plateformes. »

Jusque dans les jeux vidéos

Les chercheurs observent un virage politique jusque sur les plateformes de streaming de jeu en ligne, telles que Twitch, Kick, Rambo, Discord ou Facebook Gaming. L’exemple le plus connu est le joueur (gamer) Hasan Piker ou HasanAbi, qui joue peu mais publie beaucoup de contenu politique.

Même un usager qui n’est là que pour jouer peut difficilement éviter ce type de contenu. « Si on passe une après-midi, on ne peut pas y échapper », soutient l’étudiant au doctorat en communication de l’Université Concordia, Francis Léveillé.

Il a pu observer ce type de communication entre l’automne 2023 et mai 2024, avec la diffusion en direct, sur Twitch et Instagram, des mouvements pro-palestiniens installés dans des campements universitaires de la région de Los Angeles.

C’était une couverture alternative à celle des médias traditionnels, qui a suscité de nombreux débats, jusque dans les journaux traditionnels. « Les livestreamers sont souvent des activistes, pas des lecteurs de nouvelles. C’est très amateur comme produit, avec des problèmes de connexions, et aussi avec des discours moins politiques sur la logistique (kit de mobilisation débutant) ou la santé mentale », détaille M. Léveillé.

Il note aussi la synergie des plateformes, par exemple, tout le contenu politique de Twitch est amplifié sur Discord. « Il y a une connexion entre les deux communautés : entre ceux qui portent le mouvement social et les gamers, davantage dans le divertissement. Il y a une rencontre à travers l’information qui est véhiculée, en un échange constant », note le chercheur.

Impacts sur le journalisme et les démocraties

De nombreux chercheurs constatent, avec perplexité, la dilution de la pensée rationnelle aux dépens de l’omniprésence des émotions, ces émotions qui sont favorisées par les algorithmes. « Cela prend une réflexion collective face à ces changements. Quelles sont les nouvelles configurations technosociales et leurs conséquences sur les démocraties? », interrogeait ainsi, lors du colloque de lundi, le professeur en politique des technologies de l'information et de la communication de l'Université Concordia, Fenwick McKelvey.

Le rôle de surveillance que jouaient les journalistes recule par rapport aux désirs du public ou de ce qui est supposé répondre à ses attentes. « Cela prend le dessus à chaque étape de production et tend à supplanter la logique journalistique (d’information) pour avoir plus de réactions du public », explique M. Marinov.

« C’est la logique de l’infodivertissement soumise aux boucles de rétroaction de la plateforme. Cela va structurer le travail journalistique et se justifier par l’engagement qu’il suscite et non par le bien public. Cela pose un enjeu démocratique », soulève le chercheur.

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