Une histoire inventée.

Henri est fonctionnaire. Sa carrière débuta aux Transports, puis il fut muté au secteur scientifique. « Il faut que tu coupes 10 % de tous les montants accordés à la recherche scientifique », lui a -t-on dit. À la brasserie, le midi, on l'entendit claironner: « La science pis la recherche, je ne connais rien là-­dedans, je ne pourrai pas faire autrement que d'être objectif! »

*** Ginette est serveuse dans un restaurant. De midi à 21 heures, elle donne à boire et à manger à une armée de petits Henris, avides, prétentieux et repus. Sa journée terminée, elle file chez elle, fait couler un bon bain chaud, s'y glisse, relaxe et médite. Ensuite, elle prend un léger repas en rêvassant, puis elle met soigneusement sa demeure en veilleuse. Par la porte arrière, elle file au fond du jardin et furtivement, pénètre dans une petite cabane de bois.

Un long grincement se fait entendre. Le toit glisse lentement. Une petite lueur rouge inonde la pièce. Ginette retire un moment sa main de son gant chaud et protecteur. Elle parcourt du doigt une longue liste de noms, s'arrête sur l'un d'eux, elle mémorise les coordon­nées lues dans le tableau, et « pitonne » celles-ci sur un clavier. Aussitôt, un long tube se dresse, bascule et se pointe vers un petit point lumineux perdu aux confins du ciel. Le petit point choisi sur la longue liste mis à sa disposition par un groupe de chercheurs est bien au rendez-vous, au fin fond de l'oculaire. Après s'en être assurée, Ginette fixe une caméra à celui-ci. Le vent se lève, chassant au loin de frêles et chétifs nuages. Une belle nuit noire d'encre s'amorce. Pas un seul frétillement de l'air, juste une petite tache lumineuse prise en chasse par le tube gour­mand du télescope. Une première séance de surveillance débute par moins trente-cinq degrés. Pas question de chauffage. La chaleur produirait des turbulences, pas question non plus de sautiller pour se réchauffer (cela provoquerait des vibrations).

Ginette fait partie d'un groupe d'astronomes amateurs repartis un peu partout à la surface de la planète. Leurs travaux consistent à détecter des explosions de supernovae dans des galaxies proches dès qu'elles surviennent. Inlassablement, Ginette et ses collègues comparent les images qu'ils prennent avec leurs télescopes à celles qui figurent dans des bases de données fiables. Dès qu'un point lumineux inhabituel apparaît sur une image qui vient d'être prise, l'alerte est donnée. Les astrophysiciens braquent immédiatement leurs panoplies d'instruments en direction du phénomène. L'idée est de ne rien rater de l'événement de manière à pouvoir raffiner notre compréhension de l'évolution stellaire.

Ce groupe d'astrophysiciens vient tout juste de déposer une demande de financement pour permettre de rémunérer modestement les étudiants qui coordonnent ce projet d'observation. Le rôle des astronomes amateurs dans la surveillance large de l'univers est crucial et leur contribution à l'avancement scientifique précieuse.

Rêveuse, Ginette scrute les images que son télescope transmet sur l'écran de son ordinateur. Elle pense à la précision de la mécanique qui garde son télescope rivé sur la faible galaxie et par la pensée, se projette au sein de celle-ci, se demandant si là-bas, il existe des êtres pensants qui interrogent les cieux. Le vertige la prend quelques instants interrompue par le ronron du moteur de poursuite de son télescope. *** Le Soleil jette ses premiers rayons sur l'édifice administratif, pendant qu'Henri aiguise son crayon; il est neuf heures vingt, le début de sa journée de travail. Il tire un dossier, l'ouvre, y lit le titre: « Demande de financement pour détecter des explosions de super novae dans des galaxies proches ».

« Quelle foutaise, pense-t-il, ils se prennent pour la NASA! » Il griffonne « Sans intérêt » sur le dossier, puis le place sur la pile des projets non retenus. Henri étouffe un bâillement et sent monter en lui l'image de la jeune et jolie serveuse du restaurant. « Peut-être qu'elle... »