Cette entrevue Q/R vise à aller à la rencontre d’un chercheur ou d’une chercheuse qui oeuvre à l’Université de Montréal afin d’informer le grand public de ses recherches.
Loïc Albert est chercheur à l’Institut de recherche sur les exoplanètes, organisme affilié au Département de physique de l’Université de Montréal. Spécialiste en instrumentation infrarouge, il participe au projet du télescope spatial James-Webb et étudie les naines brunes et les exoplanètes.
Parlez-nous de vos recherches actuelles.
Ma vie comme chercheur se décline en deux volets indissociables : la recherche – j’étudie les naines brunes et les exoplanètes – et un côté beaucoup plus technique – je travaille sur l’instrumentation infrarouge. Dans mon cas, comme il arrive souvent en astronomie, ce sont les avancées technologiques qui ont ouvert la porte à de nouvelles questions scientifiques : les détecteurs infrarouges rendent maintenant possible l’observation du ciel à ces longueurs d’onde « invisibles » pour l’œil humain. Depuis une dizaine d’années, je participe au développement de l’instrument NIRISS, un des quatre instruments infrarouges qui se trouvent à bord du nouveau télescope spatial James-Webb, dont le lancement est prévu dans quelques semaines au moment où l’on se parle. Je fais partie de l’équipe scientifique qui a établi les objectifs servant à guider les décisions pour le design et la fabrication de l’instrument par l’Agence spatiale canadienne. NIRISS permettra à la communauté scientifique de mesurer la composition chimique de l’atmosphère des exoplanètes, rien de moins ! J’utiliserai aussi un autre instrument à bord du télescope Webb pour étudier les naines brunes. Invisibles à l’œil nu, ces astres ont été détectés grâce à la première génération de caméras infrarouges, qui a permis de percevoir leur faible lueur thermique. Ce sont des étoiles ratées trop peu massives pour allumer des réactions thermonucléaires et briller comme une étoile, et qui sont donc condamnées à se refroidir éternellement.
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Qu’est-ce qui vous a profondément motivé à étudier les naines brunes et les exoplanètes ?
Je pense que l’astronomie, un peu comme la paléontologie ou l’archéologie, est une science qui éveille facilement l’imagination des jeunes enfants. On pourrait donc dire que mon développement s’est arrêté à cet âge ! J’ai toujours été fasciné par l’espace, les fusées et l’aviation. Cet attrait est devenu beaucoup plus sérieux chez moi à l’adolescence au moment du survol de Neptune par la sonde Voyager 2, que j’ai suivi en direct à la télévision, par une nuit d’août 1989. Mes premières expériences d’astronomie amateur, mais également la lecture de Patience dans l’azur d’Hubert Reeves et d’Une brève histoire du temps de Stephen Hawkins, ont fait muer mon ambition de devenir astronaute en un désir d’utiliser les grands télescopes. Mon profil est quelque peu atypique, la science m’attire autant que la technologie. Ma carrière est donc un mélange de recherche scientifique avec publications et de travail plus technologique, parfois en laboratoire. Vers la fin de ma maîtrise passée sur un projet purement de recherche (les étoiles de carbone), j’observais avec intérêt des étudiants et des étudiantes construire un instrument infrarouge dans le laboratoire de René Doyon, professeur à l’Université de Montréal. L’instrumentation infrarouge débutait et menait déjà à la découverte de nouveaux astres inconnus jusqu’alors : les naines brunes. Le vaste éventail d’études effectuées au cours du xxe siècle sur les étoiles dites « normales » se voyait répété sur les naines brunes en accéléré. C’était frénétique ! C’est dans ce contexte que je me suis joint à René pour un doctorat. En une dizaine d’années à peine, les spécialistes avaient dressé un portrait assez juste de la population des naines brunes, de leurs caractéristiques physiques (masse, rayon, température) et de leur mode de formation.
Quelle est l’entrave la plus importante à l’atteinte de résultats dans vos recherches ?
Il faut accepter une certaine part d’ingratitude quand on travaille au développement de nouveaux instruments astronomiques. En effet, ce travail nécessite de mettre de côté nos recherches observationnelles ou théoriques pendant une longue période afin de se consacrer à un projet se rapprochant parfois plus de l’ingénierie que de la recherche pure. Le défi est de maintenir à jour nos connaissances de l’actualité scientifique et d’accepter une baisse de contributions directes à la recherche pendant toutes les années requises pour achever un nouvel instrument. Il m’a fallu au moins trois ans de travail pour construire une caméra infrarouge lors de mon doctorat avant de pouvoir passer au volet scientifique de ma thèse. De même, je travaille sur le projet de télescope spatial James-Webb depuis une dizaine d’années. Heureusement que viennent les découvertes par la suite ! Nous, les instrumentalistes, sommes souvent appelés à participer à des projets plus ou moins près de notre domaine en raison de notre aptitude à pousser les observations à leurs limites. Par exemple, récemment, j’observais l’occultation d’une étoile par Neptune avec une caméra infrarouge construite à Montréal pour l’observatoire Canada-France-Hawaii.
De quelle manière vos travaux touchent-ils le grand public ?
L’astronomie exerce une fascination auprès des jeunes et du public en général. La découverte des exoplanètes et de leur surprenante diversité touche aux questions fondamentales que se pose tout être humain. Sommes-nous seuls dans l’Univers ? Où sont les planètes habitables les plus proches ? Les scientifiques dans ce domaine ont fréquemment la chance d’être sollicités par les écoles, les clubs d’astronomie amateur ou les personnes organisant des conférences pour présenter leurs travaux au public. Quand cela m’arrive, je parle du télescope spatial James-Webb, des exoplanètes ou d’autres sujets. C’est une chance de savoir que son travail suscite l’intérêt et de pouvoir le partager.
Travaillez-vous avec des collègues d’autres pays et, si oui, de quelle façon leurs recherches influencent-elles les vôtres ?
S’il y a un domaine très interconnecté, c’est bien l’astrophysique ! Le site arXiv (https://arxiv.org/) centralise l’archivage de toutes les publications dans les domaines liés à l’astrophysique, si bien que la communication des découvertes est maximisée. Beaucoup de coautrices et de coauteurs d’une publication ne se sont en fait jamais rencontrés en personne et ne se connaissent qu’à travers leurs publications. Cependant, comme ailleurs, les astronomes de pays riches sont en surreprésentation par rapport à ceux et celles provenant de pays en développement. L’accès aux données et aux images, donc aux observatoires et à leurs instruments, est un facteur déterminant à ce sujet. De plus en plus, avec l’établissement par les observatoires d’archives totalisant des pétaoctets d’images, l’astronomie devient accessible aux pays plus pauvres. Quelques-unes de mes collaborations, en particulier avec des astronomes taïwanais et indiens, sont nées du désir de ces scientifiques d’utiliser un télescope canadien pour leur projet. J’en profite pour préciser que les télescopes spatiaux Hubble et Webb procèdent maintenant en double aveugle pour la sélection des projets d’observation soumis par la communauté. Cela a eu pour effet d’augmenter la représentation des femmes, des petites universités et des projets non américains dans les propositions retenues. On peut parfois deviner la culture du premier auteur ou de la première autrice par le niveau d’exubérance ou le conservatisme de son style d’écriture, mais au bout du compte, les scientifiques parlent le même langage scientifique et sont assez conformistes dans le format adopté pour leurs publications.
Comment envisagez-vous l’avenir dans votre champ de recherche ?
La recherche sur les exoplanètes, un champ d’études qui n’existait pas il y a 25 ans, s’est vue attribuer plus du quart du temps de télescope pour la première année d’opération du télescope spatial James-Webb. C’est une tendance lourde. Webb devrait permettre, entre autres, de mesurer la première atmosphère d’une exoplanète de taille semblable à la Terre. Le Québec, depuis la fondation de l’Institut de recherche sur les exoplanètes (iREx) en 2014, est devenu un acteur incontournable dans le domaine. L’iREx regroupe une cinquantaine de membres (provenant du corps professoral, des équipes de recherche et de la communauté étudiante aux cycles supérieurs) travaillant dans le domaine. Cette croissance est soutenue par plusieurs nouveaux instruments destinés à l’étude des exoplanètes et fabriqués en partie ici. Le prochain grand télescope spatial de la NASA devrait même être réservé à la détection directe d’exoplanètes terrestres orbitant autour des plus proches étoiles, telles Proxima Centauri ou l’étoile de Barnard. Avant la fin de la décennie, un autre télescope, le Extremely Large Telescope (ELT) européen, d’un diamètre de 39 mètres, devrait voir ses premières lumières à partir du Chili et fera lui aussi la chasse aux exoplanètes par imagerie directe. Puisque certaines observations resteront à jamais impossibles à réaliser, par exemple l’obtention d’une image détaillée de la surface d’une exoplanète, certaines sous-spécialités palliatives devraient inévitablement se développer, comme la modélisation climatique globale (GCM).
Dans votre domaine d’expertise, quelle percée dans les prochaines années représenterait une grande avancée ?
Sans conteste, la détection d’une biosignature dans l’atmosphère d’une exoplanète est la découverte majeure qui se pointe à l’horizon de notre génération. Une biosignature est une trace chimique ou physique de la présence de vie (actuelle ou passée) ; en astrophysique, cela veut dire la détection dans le spectre de l’atmosphère d’une exoplanète de raies d’absorption liées à l’ozone, à l’oxygène moléculaire, à l’eau, au gaz carbonique ou au méthane. L’oxygène sur Terre est un bon exemple de biosignature. C’est un gaz hors équilibre : en l’absence de vie sur Terre, il disparaîtrait rapidement, absorbé par la roche. La surveillance d’autres molécules moins courantes a été proposée et sera faite, mais il reste que la présence des gaz que j’ai énumérés, en particulier celle combinée de deux ou plus dans la même atmosphère, représenterait une découverte majeure. Évidemment, une telle découverte demanderait confirmation avec de plus puissants instruments, car plusieurs scénarios peuvent produire ces gaz de façon abiotique (en l’absence de vie). Bien que possible, la détection de biosignatures grâce à Webb serait surprenante. Cette découverte devra donc attendre le télescope spatial suivant, d’ici une vingtaine ou une trentaine d’années.
Certaines décisions politiques ont-elles eu des répercussions dans votre champ d’expertise au cours des dernières années et, si oui, de quel ordre ?
L’astronomie est presque uniquement tributaire des fonds publics pour fonctionner. Aux États-Unis, une courte période de défaut de paiement pendant l’ère Trump a ralenti les tests par la NASA du télescope Webb. Plus près de nous, la perte d’une subvention de fonctionnement par l’Observatoire du Mont-Mégantic a provoqué une levée de boucliers. L’appui sans précédent de la population a permis de faire débloquer des fonds et de prévenir la fermeture de l’Observatoire.
Une situation particulièrement délicate a actuellement cours sur la grande île d’Hawaii. La construction au sommet du volcan Maunakea du Télescope de trente mètres (Thirty Meter Telescope, TMT), un télescope géant canado-états-unien, a été stoppée en raison de revendications de groupes autochtones hawaiiens. Une douzaine de télescopes sont déjà perchés sur ce lieu considéré comme sacré et le TMT est la goutte qui a fait déborder le vase pour certaines personnes de l’île. Voilà un rare exemple de rejet de l’astronomie par une population. C’est une situation très complexe et presque inextricable, qui vraisemblablement mettra fin au projet de près d’un milliard de dollars. La culture hawaïenne a pourtant une grande tradition en astronomie en lien avec la navigation, mais les horribles génocides culturels du passé ont poussé à une affirmation culturelle dont les fondements sont littéralement au sommet de ce magnifique volcan éteint.
Comment l’intelligence artificielle influence-t-elle votre domaine ?
L’intelligence artificielle fait des percées en astronomie. Ma seule expérience personnelle s’est avérée plus ou moins concluante, car mon problème ne pouvait pas se réduire à un nombre gérable de neurones et le temps de calcul explosait. D’autres problèmes se prêtent toutefois particulièrement bien à l’utilisation de réseaux de neurones artificiels. Mes collègues Étienne Artigau et Laurence Perreault-Levasseur ont réussi à utiliser un de ces réseaux pour diminuer le bruit (ou perturbation) présent dans les images infrarouges d’un instrument qui mesure la vitesse des exoplanètes. Plus marquante encore est la démocratisation des outils d’analyse statistique, dont l’utilisation s’est largement répandue à travers la communauté. Je pense ici aux statistiques bayésiennes permettant des analyses de type Monte-Carlo par chaînes de Markov (MCMC) ou à la modélisation du signal par le processus gaussien (GP). Aussi, l’adoption généralisée du langage de programmation Python par la communauté astronomique a permis le partage de librairies de code maintenant utilisées à travers le monde. Apprendre ces nouvelles méthodes est une facette très stimulante de mon travail.
Si vous aviez un livre à offrir à une personne intéressée par les exoplanètes, quel serait-il ?
Plutôt qu’un livre, je proposerais une chaîne YouTube, Cool Worlds, de l’astrophysicien David Kipping. Ce spécialiste des exoplanètes, pionnier de la recherche d’exolunes (il n’en a pas encore trouvé !), produit des documentaires très intelligents et nuancés mais accessibles, et ce, sur plusieurs questions, dont la vie dans l’Univers. Il est très inspirant. C’est à regarder !
Quelle est l’une de vos grandes passions hormis votre travail ?
Avant que je devienne astrophysicien, ma plus grande passion était l’astronomie amateur. J’ai passé de magnifiques soirées à observer Jupiter à travers mon télescope. Cette passion est toutefois devenue profession (danger ?) et je n’ai plus jamais fait de croquis de la Grande Tache rouge. Je m’évade maintenant en grimpant une côte à vélo ou en faisant du ski de fond. Depuis peu, j’arpente une terre à bois les fins de semaine, où je fais la chasse aux espèces envahissantes, me laisse absorber par les floraisons toujours changeantes dans la prairie et tente d’apprendre le nom des plantes.