Mais cette coïncidence n’en est pas une : comme l’ont écrit (beaucoup) d’autres avant moi depuis une semaine, la dénommée Nathalie Elgrably-Lévy, « économiste » de son état, ne fait que répéter un slogan qui a tant et si bien été répété que plusieurs le confondent avec une vérité : au 21e siècle, la voie royale vers la modernité, ce serait l’individualisme.
Abonnez-vous à notre infolettre!
Pour ne rien rater de l'actualité scientifique et tout savoir sur nos efforts pour lutter contre les fausses nouvelles et la désinformation!
De là vient ce message rose servi aux jeunes qui sortent de l’université, inquiets de ces forces du marché face auxquelles ils se sentent impuissants : don’t worry, be happy. La pige, c’est facile. Si vous êtes bon, vous allez gagner plein d’argent.
La solidarité pour améliorer les conditions de travail du groupe? Le mécénat ou les subventions pour les petits médias? Oubliez ça. Des concepts aussi dépassés que les dinosaures.
Pourtant, même les États-Unis, patrie du libre marché, subventionnent le secteur des médias, le saviez-vous? NPR, la radio publique, reçoit 400 millions par an des contribuables. Les magazines y ont bénéficié de subventions postales énormes. Même le Wall Street Journal, ce bastion du communisme, reçoit du gouvernement fédéral des millions de dollars en publicités sous la forme « d’avis publics ». Tout récemment, les avis de saisies de maisons ont pris le dessus. Comme quoi le malheur des uns...
Plus près du sujet qui nous intéresse dans ce blogue, les Britanniques ont lancé en avril 2010 le Bureau of Investigative Journalism, un organisme soutenu par une fondation, dont la première réalisation a été une enquête sur la pandémie de grippe, publiée conjointement par Al Jazeera English et le British Medical Journal. Le BIJ a été lancé grâce à un cadeau de 3 millions$.
Je ne reviendrai pas sur les exemples déjà cités: le magazine de journalisme d’enquête Pro Publica (qui a décroché un Pulitzer il y a quelques semaines), le Center for Public Interest in Journalism . Tous deux payés en partie par des fondations parce qu’il leur aurait été impossible de démarrer et, jusqu’ici, de survivre, s’ils avaient été soumis aux seules lois du marché.
Bref, ce n’est pas se stationner à gauche que de reconnaître que l’avenir du journalisme de qualité réside, en tout ou en partie, en-dehors des lois du marché. Spécialement dans un petit univers comme le Québec, où jamais des Petits Débrouillards n’auraient pu devenir grands sans aide gouvernementale. Pas plus qu’un éditeur de livres de vulgarisation scientifique. Ni même d’économie, comme le fait suavement remarquer Jean-Philippe Joubert —un vilain artiste— en soulignant que l’éditeur Sogides reçoit quelques centaines de milliers de dollars de subventions par année, grâce auxquelles il a pu publier en 2006 La face cachée des politiques publiques, d’une certaine Nathalie Elgrably-Lévy.
En fait, ça va bien plus loin que ça : les grands médias, La Presse, Radio-Canada, ne retrouveront JAMAIS l’audience des années 1960 qui leur permettait de faire la pluie et le beau temps. Si la fragmentation des auditoires se poursuit, où trouveront-ils l’argent pour continuer à produire une information de qualité?
+++++++++++++
Suggestion de lecture : Geoffrey Cowan et David Westphal, Public Policy and Funding the News. Université de Californie du Sud, 2010.
+++++++++++++
Les autres textes du blogue Médias et science sont ici.