Sur papier, la percée semble pourtant très loin des récits d’horreur auxquels la science-fiction nous a habitués : des scientifiques américains de l’Institut J. Craig Venter, au Maryland, ont annoncé le 24 janvier dans la revue Science, avoir créé un génome synthétique de bactérie, à partir du plus petit génome connu, celui de la bactérie Mycoplasma genitalium.
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Sur toutes les tribunes, les généticiens saluent pourtant cela comme un exploit, parce qu’il s’agit d’un tavail techniquement très complexe, et qui survient beaucoup plus tôt que ce qu’on aurait cru il y a seulement deux ans.
Et surtout, parce que la création d’une véritable forme de vie artificielle —les chercheurs préfèrent l’expression « vie synthétique »— est présentée comme un travail en trois étapes : celle-ci était la deuxième étape. Compte tenu que l’article publié a été déposé il y a cinq mois, on serait donc, au moment où vous lisez ces lignes, à deux doigts de la troisième et dernière étape.
Pourrait-on de la même façon fabriquer des génomes plus gros? « Créer » une mouche, une souris, voire un humain? Le pas de la bactérie à l’humain est immense, mais depuis vendredi, d’aucuns supputent déjà sur les chances de voir cela se produire de leur vivant.
Sauf que tout ceci pose un léger problème... de propriété intellectuelle. Qui possédera ces êtres vivants? Depuis plus d’une décennie, scientifiques et éthiciens protestent à l’idée de voir chercheurs et compagnies s’approprier quantité de brevets sur le vivant : et je te découvre le gène d’une maladie, et je te dépose un brevet. La légitimité de tels brevets est loin d’être acquise, diront les sceptiques, mais un brevet sur un produit d’un laboratoire semble plus solide : mon maïs-OGM est une création de mon laboratoire, donc je peux détenir un brevet.
Une bactérie synthétique. Donc création artificielle. Donc, brevetable. Après les bactéries, jusqu’où ira-t-on?
Le roi de la vie
Non content d’avoir volé notre passé en brevetant des gènes humains, le « méchant Dr Venter » récidive en « tentant de voler notre futur », lance, mi-ironique, le biochimiste Terence Kealey. « Ce n’est pas de la science-fiction; c’est inévitable... Les biologistes moléculaires vont jouer avec le génome humain. Si nous pouvons re-créer des génomes bactériens, nous pourrons créer et améliorer des génomes humains. »
Craig Venter avait fait scandale en 2001, lorsqu’il avait fait part de son intention de déposer un brevet sur le génome humain (voir l’autre texte). Il avait renoncé. En 2006, l’Institut Craig Venter a déposé un brevet sur un ensemble de gènes « et un organisme de synthèse autonome, qui peut croître et se reproduire » —soit un être vivant « synthétique ».
Un être vivant synthétique, vraiment?
Mais revenons en 2008. Cette percée est-elle vraiment la dernière étape avant la création d’un « être vivant artificiel »? Les mots sont, ici, lourds de sens. Que veut dire, en clair, « génome synthétique »? Pas exactement ce que le nom suggère. Ces chercheurs n’ont pas créé des gènes à partir de rien. Ils ont utilisé du matériel génétique déjà existant pour fabriquer une copie conforme du génome de cette bactérie —choisie parce qu’elle fonctionne avec le plus petit nombre de gènes connu dans la nature— puis ils ont fait en sorte que les différents fragments « prennent » bien ensemble.
Détail important : la bactérie n’était pas viable. Leur exploit, c’est d’avoir reconstitué ce génome morceau par morceau, à la manière d’un lego. Un lego (voir encadré) de 583 000 pièces...
La première étape, l’an dernier, avait consisté à prendre un génome complet d’une bactérie et à le transplanter dans une bactérie d’une autre espèce (voir ce texte). La troisième étape consisterait à transplanter cet ADN « copié » dans une véritable cellule, et d’observer s’il « prend racine ».
Enfin, si Venter a choisi cette bactérie, c’est parce qu’elle est la plus simple qu’il ait pu trouver : elle n’est composée que de 485 gènes, contre plus de 20 000 pour l’être humain. Si on calcule plutôt en paires de base (voir encadré), cette bactérie n’est composée « que » de 583 000 paires de base, contre 10 millions pour certaines bactéries... et 3 milliards pour l’être humain.
Il y a quelques années, on avait justement appris que l’Institut Craig Venter était à la recherche du « plus petit génome possible », soit le plus petit nombre de gènes qui soit nécessaire pour soutenir la vie. On sait maintenant pourquoi.
Mais on n’en est pas encore à pouvoir affirmer que cette bactérie « copiée-collée » sera viable. Et la possibilité de modifier les gènes avant de les transplanter, reste un objectif encore plus lointain —bien au-delà de la « troisième étape » claironnée par l’Institut Craig Venter.
Interrogé par le Times de Londres, le directeur d’un laboratoire de biologie synthétique (c’est vraiment comme ça que ça s’appelle!) à l’Université Cambridge résume la difficulté ainsi : « l’ADN communique avec une cellule en la poussant à produire des protéines. Mais nous sommes encore loin de comprendre la relation entre une séquence particulière d’ADN, les protéines qu’elle engendre et les propriétés que cela apporte à un organisme. »
Et l’histoire récente des biotechnologies est remplie de promesses claironnées trop tôt : de la thérapie génique au clonage en passant par, surtout, les célèbres cellules souches...