Personne ne s’étonne qu’une vedette du sport ou du spectacle embauche un « nègre » pour écrire un texte à sa place. Mais une compagnie pharmaceutique, c’est plus gênant... surtout lorsqu’elle demande à un scientifique de signer cet article qu’il n’a pas écrit.

Ce sont des documents déposés en cour au début du mois d'août qui contenaient ces révélations embarrassantes. Vingt-six articles scientifiques publiés dans 18 revues entre 1998 et 2005 avaient été commandés par la compagnie pharmaceutique Wyeth à des rédacteurs professionnels. Après quoi, un scientifique avait été approché pour signer l’article.

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Ainsi, la signataire d’un des 26 articles est une spécialiste réputée, à l’Université McGill, de l’impact des hormones sur la mémoire et l’humeur.

Les articles présentaient tous des données favorables à l’usage d’hormonothérapies de remplacement pour contrer les effets secondaires de la ménopause. Wyeth est un grand producteur d’hormonothérapies de remplacement, comme le Premarin et le Prempro.

Ces articles n’étaient pas des articles de recherche proprement dit, mais des revues de la littérature, où un auteur évalue un ensemble de recherches parues et en trace une synthèse —synthèses positives, dans ces cas-ci.

Le but: rester discrets sur les effets secondaires

Pourquoi ces documents émergent-ils maintenant? En raison d’un recours collectif intenté par 8400 femmes. La compagnie Wyeth y est accusée d’avoir dissimulé les risques d’effets secondaires (dont des problèmes cardiaques) de ses hormones. Ce n’est qu’en 2002 que ces risques sont apparus au grand jour (voir cette brève parue à l'époque).

Une requête pour rendre public les documents sur le « ghostwriting » ou usage de prête-noms —par exemple, la correspondance entre la compagnie pharmaceutique et une firme de rédaction— a été déposée par le journal électronique PLoS Medicine et le New York Times, et le juge de la cour de district de l’Arkansas a tranché en leur faveur le 24 juillet. PLoS Medicine a mis en ligne la totalité de ces documents le 21 août, invitant en éditorial les experts à les analyser plus en profondeur.

Par la voix de son porte-parole, Wyeth s’est défendu en soulignant que les articles étaient « scientifiquement exacts ».

Il y a quelques mois, un scandale similaire avait éclaté lorsqu’on avait appris que l’éditeur Elsevier avait créé entre 2000 et 2005 au moins six pseudo-journaux scientifiques, en réalité des publications entièrement payées par des compagnies pharmaceutiques (voir ce texte). Mais avec ce « ghostwriting », on passe à un autre niveau : ce n’est plus seulement une tactique de marketing douteuse, c’est une violation de l’éthique professionnelle de la part de ceux et celles qui ont signé des articles qu’ils n’ont pas écrit. Comme l’écrit PLoS Medicine en éditorial :

Vous devriez être très en colère. Parce que, franchement, le récit que racontent ces documents représente la plus grave histoire de manipulation et d’abus de l’édition académique jamais entreprise par l’industrie pharmaceutique et ses partenaires, pour influencer les décisions de soins de santé prises par les médecins et le grand public.

En comparaison, le cynisme manifesté par la firme de rédaction DesignWrite dans sa description de tâches en 1996 apparaît bien bénin.

La première étape est de choisir le journal le plus approprié à la publication du manuscrit... Nous analyserons ensuite les données et écrirons le manuscrit, puis recruterons un expert reconnu pour qu’il ajoute son nom comme auteur, et nous nous assurerons qu’il en approuve le contenu.

Le « ghostwriting » n’est pas une pratique inconnue de la communauté scientifique. Depuis quelques années, certains journaux médicaux obligent tous les co-auteurs d’un article soumis à préciser leur implication dans la recherche. Le rédacteur en chef du Journal de l’Association médicale canadienne révèle pour sa part au quotidien montréalais The Gazette qu’il rejette chaque année de 5 à 10 articles, parmi ceux soumis à sa revue, après avoir découvert qu’ils ont été écrits par un rédacteur payé par l’industrie pharmaceutique.

Mais les documents de l’affaire Wyeth démontrent que la pratique est passée à un autre niveau et qu’il est temps, pour les universités ou les organismes subventionnaires, de resserrer les mécanismes de surveillance.

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