La cosmologie vous répondra que 70% de la masse de notre univers est attribuable à une mystérieuse «énergie noire» qui pourrait agir comme une sorte de force anti-gravité ou «répulsive», à l’échelle cosmique. Ce qui est une façon d’expliquer sans expliquer: comme si on vous disait que 70% des livres de la bibliothèque sont invisibles et qu’on a baptisé ça «les étagères noires».
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Mais ce n’est plus une théorie: la cosmologie, l’astrophysique, l’astronomie et la physique ont été réellement ébranlées lorsque, en 1998, deux équipes ont confirmé de façon spectaculaire qu’il y a beaucoup plus dans le cosmos que ce que l’oeil et les radiations ne révèlent.
À quelle vitesse s’éloigne ma supernova?
Les Américains Saul Perlmutter et Brian Schmidt, deux des gagnants du Nobel de physique 2011, étaient chacun à la tête d’une de ces équipes, tandis que l’Américain Adam Riess a joué «un rôle crucial» —selon les termes du comité Nobel— au sein de celle de Schmidt —ce qui suggère que beaucoup d'autres auraient pu partager ce prix, si les règlements du Nobel ne limitaient pas un prix à trois personnes.
Leur travail, qui s’était étalé sur 10 ans dans le premier cas et sur quatre ans dans le second, consistait à observer des supernovae situées à des milliards d’années-lumière et à mesurer avec la plus grande précision possible la vitesse à laquelle celles-ci s’éloignent de nous. Du coup, on espérait pouvoir mesurer avec plus de précision l’expansion de l’Univers (une découverte des années 1920). Et ainsi, on espérait apporter un début de réponse au destin final du cosmos: y a-t-il suffisamment de matière pour qu’il poursuive son expansion indéfiniment ou trop peu, de sorte qu’à un moment donné, la gravité ramènera tout ce beau monde vers un effondrement final?
Leurs résultats (on peut retrouver ici notre article de l’époque, La fourmi et la supernova), ajoutèrent un élément inattendu au problème: l’expansion de l’Univers ne diminuait pas, comme elle aurait dû logiquement le faire depuis le Big Bang d’il y a 14 milliards d’années —tout comme un ballon ralentit parce qu’il manque d’énergie, ou un gâteau dont l’expansion ralentit parce qu’il commence à manquer de matière. La découverte de 1998, qui allait être plus tard confirmée par d’autres observations, c’était au contraire que l’expansion de l’Univers s’accélérait.
Quelle force explique cette accélération?
Comment l'expliquer? On ne le peut toujours pas. En fait, parmi les réactions des lauréats recueillies ce matin, il en est une qui revient régulièrement : lorsque les premiers chiffres ont commencé à tomber, j’ai refusé d’y croire.
Je me rappelle avoir pensé, «euh, j’ai fait une grosse erreur, et il faut que je la trouve». Et puis, j’ai passé des semaines à la chercher, et seulement ensuite, j’ai commencé à admettre la possibilité que ce signal pourrait être réel, et que l’univers pourrait être en accélération.
«Cette observation a changé notre compréhension de l’univers», a résumé plus prosaïquement, mardi matin, le comité Nobel dans sa conférence de presse et son communiqué.
La cosmologie a, ce jour-là, reçu un nouvel élan —sans jeu de mots— mais aussi, toute la physique. Parce que cette découverte ouvre la porte à une «cinquième force ». Les manuels de physique en comptent pour l’instant quatre : la force nucléaire forte, qui maintient les noyaux des atomes, la force nucléaire faible, la force électromagnétique et la gravité. Devra-t-on y ajouter une «force répulsive», qui repousse les objets à une échelle intergalactique?
Ou encore, s’agit-il de quelque chose de plus complexe, qui fluctue en fonction de mécanismes qui dépassent pour l’instant notre compréhension? Bien du travail en perspective pour ceux qui espèrent décrocher le Nobel de physique d’ici 2050...