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La semaine des Nobel offre chaque année de nouvelles opportunités pour faire de la vulgarisation. Par exemple, le Nobel de médecine décroché lundi par deux chercheurs permet d’expliquer pourquoi il est injuste d’attribuer un Nobel de médecine à deux chercheurs.

En 2018, il y a bien longtemps que la science a cessé d’être produite par des équipes de deux ou trois personnes, et c’est la raison du mécontentement affiché lundi par les observateurs du secteur de l’immunothérapie et du cancer, pour qui les règles désuètes du Nobel — qui empêchent de remettre le prix à plus de trois personnes — ont laissé cette année sur le carreau des centaines de chercheurs. Dont au moins trois qui, en plus des deux gagnants, ont joué un rôle crucial dans la séquence de découvertes qui ont conduit à comprendre comment notre système immunitaire pouvait jouer un rôle dans la lutte contre le cancer.

Les deux lauréats, James Allison et Tasuku Honjo, ont découvert chacun de leur côté deux molécules qui, à la surface des cellules du système immunitaire, agissent comme « inhibiteurs » (ou « inhibiteurs de point de contrôle »), c’est-à-dire que ces molécules empêchent les cellules du système immunitaire d’attaquer les cellules cancéreuses. Mais il a fallu par la suite au moins deux autres scientifiques pour découvrir comment il serait possible d’exploiter ces inhibiteurs à des fins médicales. Et même pour en arriver à la découverte de ces inhibiteurs, il a fallu d’autres chercheurs pour ouvrir la voie. Le magazine StatNews soulignait ainsi lundi l'apport de Jeffrey Bluestone et de son équipe de l’Université de Californie qui, un an avant Allison, en 1994, avaient publié des résultats encourageants sur la même molécule, CTLA-4. La différence entre les deux est qu’alors que l’équipe de Bluestone avait identifié et observé cette molécule, c’est l’équipe d’Allison qui l’avait testée sur des souris cancéreuses.

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C’est par la suite une troisième équipe, dirigée par Jedd Wolchok et Stephen Hodi, qui avait effectué les premiers essais cliniques sur ce qui, en 2011, deviendrait un médicament, le Yervoy, le premier « inhibiteur de point de contrôle » approuvé par les autorités de la santé dans la lutte contre le cancer.

L’autre molécule, celle associée par le Comité Nobel à Tasuku Honjo et appelée PD-1, a elle aussi une histoire complexe. Identifiée chez des souris en 2000 par l’équipe de Honjo comme une molécule au potentiel similaire à la déjà connue CTLA-4, sa version humaine avait en réalité déjà été identifiée l’année précédente par une équipe dirigée par Lieping Chen, de la Clinique Mayo ; elle serait pour cette raison, rebaptisée plus tard PD-L1. C’est également une équipe dirigée par Lieping Chen qui, en 2002, allait confirmer que ces deux versions, celle des humains et celle de la souris, pouvaient affecter la façon dont les cellules du système immunitaire attaquent les cellules cancéreuses. Tasuku Honjo et son collaborateur Gordon Freeman ont confirmé la même chose, mais un mois plus tard. Freeman et une autre collègue, Arlene Sharpe, ont par ailleurs démontré que PD-1 et PD-L1, aussi similaires soient-elles, diffèrent dans leur distribution autour des différentes cellules immunitaires ou cancéreuses — un obstacle pour tous ceux qui croient au développement rapide de médicaments.

Interrogé par la revue Nature lundi, Gordon Freeman a reconnu être « déçu », tout en rendant hommage à James Allison, qui s’est transformé pendant des années en promoteur de l’importance des inhibiteurs, contribuant à donner un élan à l’immunothérapie.

StatNews rapporte aussi que la question du rôle crucial de Lieping Chen et de la possibilité qu’il ait été injustement oublié par le Comité Nobel, a été soulevée lundi aux membres du comité présents lors de l’annonce. La réponse a été que les membres du comité étaient là pour parler des lauréats, mais pas de scientifiques qui n’avaient pas été choisis.

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