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Région fragile, le Grand Nord québécois a encore beaucoup à nous apprendre. Il possède une biodiversité unique dont pourraient même être extraites des molécules susceptibles de nous soigner… ou de soigner des populations lointaines, selon une récente découverte.

L’équipe du chimiste Normand Voyer, de l’Université Laval, a en effet mis à jour de possibles propriétés antipaludiques dans des molécules des eaux froides de la baie de Frobisher, au Nuvavut. Et l’une des quatre molécules issues de ce champignon microscopique du genre Mortierella s’avère particulièrement prometteuse. « L’incroyable, c’est qu’une molécule du Nord pourrait aider à soigner une des pires maladies du Sud », la malaria, ou paludisme, relève le chercheur.

Certains moustiques des régions chaudes (les anophèles femelles) transmettent par piqûre à l’homme un parasite, du genre plasmodium. C’est ce parasite qui entraine le paludisme. Cette maladie infectieuse se caractérise par des symptômes voisins de la grippe : fortes fièvres, douleurs musculaires, affaiblissement, fatigue. Mais les conséquences peuvent être beaucoup plus graves : anémie, œdème pulmonaire, détresse respiratoire, jusqu’au décès pour les nourrissons et les jeunes enfants, les malades et les personnes avec un système immunitaire affaibli.

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En laboratoire, les quatre molécules (mortiamide A, B, C et D) ont été testées sur différentes souches. Résultat : la mortiamide D a réussi à éliminer le parasite Plasmodium falciparum des globules rouges, in vitro, en 72 heures.

Il ne s’agit que d’une première étape : l’identification d’une molécule prometteuse. « Il nous faut comprendre son mode de fonctionnement et quelles sont les enzymes qu’elle affecte. Nous sommes encore loin d’un médicament », convient le chercheur.

Le Nunavut constitue un milieu de vie haut en stress avec son alternance de six mois de froid glacial et d’obscurité et de six mois d’intense rayonnement UV. Ce qui explique que les organismes indigènes se parent de moyens de défense performants pour assurer leur survie.

Si un champignon nordique possède de telles molécules, plus toxiques pour les parasites, c’est qu’il s’agit d’une défense chimique — la même stratégie de protection que le piment jalapeño avec ses molécules au goût piquant (capsaïcines), afin de ne pas être mangé.

À côté des prospections minières dans la mire du gouvernement provincial, dorment donc des richesses naturelles, terrestres et marines. « Mon rêve serait de préserver la chimio-diversité du Grand Nord avant que les changements climatiques ne les fassent disparaître », poursuit le Pr Voyer.

La lutte au paludisme

Malgré un recul des cas de paludisme dans le monde depuis près de 20 ans, cette maladie infectieuse stagne : on a compté 219 millions de cas en 2017. Elle fait encore des ravages en Asie, en Amérique centrale et du Sud et surtout en Afrique, où près de 90 % des décès surviennent — l’OMS en dénombrait 435 000 en 2017, majoritairement de jeunes enfants.

À l’autre bout du monde, les changements climatiques déplacent aussi les vecteurs de cette maladie, les anophèles, vers des altitudes plus élevées. La lutte prend de nombreuses voies : insecticides, moustiquaires imprégnées d’insecticides, assèchement de milieux humides… Avec une certaine efficacité, mais sans parvenir à éliminer l’ennemi.

« Nous avons fait beaucoup de progrès, mais il faut plus d’efforts pour éradiquer les moustiques porteurs du parasite », déclare le Professeur adjoint du Département de médecine sociale et préventive de l’École de santé publique de l’Université de Montréal, Thomas Druetz.

Le traitement actuel contre le paludisme — un dérivé de l’artémisinine qui provient d’une plante de Chine, l’Artemisia annua, donné en première ligne — connaît lui aussi des résistances. Même combiné avec d’autres traitements antipaludiques, il perd du terrain face au parasite.

« Les résistances que nous constatons pour les traitements actuels montrent que nous avons besoin de nouvelles molécules. La publication du Pr Voyer est intéressante, mais est à un stade très préliminaire; on ignore encore l’efficacité de cette molécule chez l’homme », relève encore le chercheur.

Pour sa part, le Pr Druetz étudie l’efficacité de médicaments de prévention face au paludisme saisonnier. Sa récente étude, auprès d’enfants du Mali, montre que cette stratégie diminue de 44 % le risque d’un diagnostic positif, mais aussi décroît le risque d’anémie modérée et sévère chez les enfants. Près de 12 millions de très jeunes enfants d’une douzaine de pays africains ont reçu ce type de traitement préventif.

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