Un rapport publié par des politiciens de Washington sur les origines de la COVID a fait beaucoup jaser dans certains cercles depuis le 2 décembre. Une chroniqueuse du Journal de Montréal est même allée jusqu’à écrire que « la vérité » venait « d’éclater au grand jour ». Le Détecteur de rumeurs s’est demandé de quelle vérité on parlait.
Cet article fait partie de la rubrique du Détecteur de rumeurs, cliquez ici pour accéder aux autres textes.
À lire également
Un rapport signé conjointement par des élus républicains et démocrates ? Faux
Deux documents sont en fait parus simultanément au début du mois. L’un, signé par les parlementaires républicains d’un sous-comité de la Chambre des représentants, l’autre, par les parlementaires démocrates du même sous-comité.
Tous les comptes rendus qui, depuis le 2 décembre, ont affirmé que le rapport apportait de « nouvelles preuves » scientifiques, citaient le rapport républicain.
Un sous-comité créé pour étudier l’origine de la COVID ? Faux
Abonnez-vous à notre infolettre!
Pour ne rien rater de l'actualité scientifique et tout savoir sur nos efforts pour lutter contre les fausses nouvelles et la désinformation!
Ce « sous-comité » avait été créé par les démocrates en avril 2020 —ils avaient alors la majorité à la Chambre des représentants— pour examiner la réponse de l’administration Trump à la pandémie (rappelons que le confinement aux États-Unis et dans la plupart des autres pays avait commencé en mars 2020). L’objectif du sous-comité a changé lorsque les républicains ont repris la majorité à la Chambre, en janvier 2023.
Le rapport apporte des preuves nouvelles sur l’origine du virus ? Faux
Lorsqu’on parle de l’origine de la pandémie en Chine, deux scénarios sont le plus souvent évoqués depuis près de cinq ans :
- selon le premier, la pandémie aurait commencé lorsque des animaux ayant développé une nouvelle mutation de ce virus, auraient transmis celui-ci à des humains, au marché des animaux vivants de Wuhan;
- selon le second scénario, la contagion serait le résultat d’une fuite, accidentelle ou planifiée, d’un virus modifié artificiellement à l’Institut de virologie de Wuhan.
Le rapport républicain privilégie ce deuxième scénario, mais en attribue une partie de la responsabilité aux administrations démocrates précédentes et surtout, à une des cibles privilégiées de ces attaques ces dernières années, le Dr Anthony Fauci. Ce dernier a été de 1984 jusqu’à sa retraite l’an dernier, à la tête d’une agence gouvernementale, l’Institut national des allergies et des maladies infectieuses, ou NIAID. Au cœur de la controverse : une subvention versée par le NIAID en 2014 puis en 2019 à un organisme américain, EcoHealth, pour étudier les coronavirus (il en existe des centaines de variétés) chez les chauves-souris, conjointement avec son partenaire chinois, l’Institut de virologie de Wuhan. L’Institut aurait supposément conduit des expériences de « gain de fonction » : une technique consistant à modifier le génome d’un virus pour comprendre ce qui peut le rendre plus nocif ou plus facilement transmissible. On comprendra que la technique est controversée, et encadrée aux États-Unis par des règles de sécurité très strictes.
Mais même en supposant que l’Institut ait bel et bien fait ces expériences, rien dans les documents du sous-comité ne permet d’affirmer qu’elles ont porté sur un coronavirus, et encore moins sur un coronavirus qui serait un proche cousin de celui qui nous occupe depuis 2020.
Le rapport permet d’éliminer le scénario du marché ? Faux
Depuis 2021, les preuves scientifiques les plus solides que l’on ait sur les origines du virus proviennent d’analyses génétiques pointant jusqu’à l’emplacement du marché d’animaux vivants où le coronavirus aurait, à deux occasions, « sauté » d’un animal à l’humain. Trois équipes de chercheurs distinctes, utilisant trois méthodologies différentes, ont analysé 1380 échantillons environnementaux récoltés dans ou autour du marché, contenant des séquences génétiques d’animaux, d’humains ou de virus.
Par « échantillons environnementaux », on entend tout ce que les équipes dépêchées au marché au début de janvier 2020, ont pu récolter : sur les murs, les planchers et les différentes surfaces, sur des gants, sur de la viande dans les congélateurs, dans les tuyaux d’égouts, et même sur des chats errants et des rats.
Ces trois études (1, 2 et 3) avaient apporté les données alors les plus précises sur un lien entre les premiers cas humains de SRAS-CoV-2 et les animaux « suspects » qui étaient en vente dans la section sud-ouest du marché pendant la période-clef.
Plus récemment, dans une recherche publiée en septembre, certains des mêmes chercheurs sont allés encore plus loin. À partir de certaines des séquences génétiques, ils ont pu pointer la présence des animaux en question dans les allées du marché où des séquences génétiques du virus avaient été identifiées: en particulier le chien viverrin (en anglais, racoon dog), mais aussi le renard roux, le vison, la civette masquée et le rat des bambous.
La séquence génétique des chiens viverrins permet aussi de dire que ceux-ci étaient originaires du centre ou du sud de la Chine, ce qui les rend susceptibles d’avoir été en contact, avant leur capture, avec des chauves-souris. Chacune de ces cinq espèces animales pourrait avoir été l’intermédiaire entre la chauve-souris et l’humain. Mais cet éventuel animal intermédiaire n’a pas encore été identifié.
En comparaison, le rapport des élus républicains de la Chambre des représentants n’apporte aucune étude génétique allant à l’encontre de ces analyses.
Le rapport apporte des preuves sur l’inefficacité des masques et autres mesures sanitaires ? Faux
Par ailleurs, les républicains écrivent que l’efficacité des masques, de l’obligation vaccinale, de la distanciation sociale, des fermetures d’écoles et des confinements, n’aurait jamais été prouvée. Or, comme de nombreuses études l’ont rappelé, il est impossible d’évaluer une par une l’efficacité de ces mesures, puisqu’elles ont souvent été en vigueur en même temps. Par contre, il y a bel et bien de nombreuses études qui ont démontré l’efficacité des masques pour limiter la propagation du virus. Le tout dépend des circonstances : à l’évidence, l’utilité du masque est plus facile à démontrer dans une pièce fermée et mal ventilée, qu’à l’extérieur.
Le rapport soutient l’importance de se préparer à de futures pandémies ? Vrai
C’est même une des rares choses sur laquelle les républicains et les démocrates s’entendent. Le président du sous-comité, le républicain Brad Wenstrup, a dit espérer que ce travail servira à « prédire la prochaine pandémie, s’y préparer et nous protéger ». Tout comme le démocrate Paul Ruiz, selon qui « la nation peut s’unir pour prévenir et se préparer aux futures pandémies ».
Photo: nirchik / DepositPhotos