Combattre le réchauffement climatique passe-t-il par une réforme en profondeur de nos économies ? C’est souvent ce que craignent les opposants, et c’est souvent l’argument que contournent les environnementalistes pour éviter de faire peur. Mauvaise stratégie, disent autant des auteurs qualifiés de « radicaux », que des économistes qui regardent les factures s’accumuler.
Pour l’une de ces « radicales », Naomi Klein, qui publie cette semaine son dernier livre, On Fire, les climatosceptiques ont raison sur un point : il s’agit autant d’une « guerre culturelle » que d’une bataille pour l’environnement. « Les politiques climatiques sont un champ de bataille sur la façon dont notre civilisation va évoluer, dans une direction individualiste et capitaliste ou dans une direction collectiviste et socialiste », résume le New Scientist.
Trop de climatologues et de militants ont tourné autour du pot, poursuit-elle, s’accrochant à l’idée qu’on pourrait éviter la crise « en achetant des produits verts et en créant des marchés de la pollution ». Mais à la vitesse où nous utilisons les ressources de notre planète, ajoute-t-elle dans The Guardian, tout en refusant d’admettre qu’il existe des limites, « une révolution politique est notre seul espoir ».
En ce qui concerne le carbone, les décisions individuelles que nous faisons ne s’additionneront pas assez pour atteindre l’échelle des changements que nous visons. Et je pense que pour beaucoup de gens, c’est beaucoup plus rassurant de parler de notre consommation personnelle que de parler des changements systémiques (parce que) nous sommes entraînés à nous voir comme des consommateurs d’abord. C’est l’avantage d’aller chercher des analogies historiques, comme le New Deal ou le Plan Marshall : ça nous oblige à penser à une époque où nous étions capables d’imaginer des changements à cette échelle.
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Même un reportage de Nature cette semaine va dans la même direction, en tentant d’imaginer de quelles sommes on parle lorsqu’on parle de changements « à cette échelle ».
Le GIEC a par exemple évalué, dans son rapport spécial de l’an dernier, qu’un investissement annuel de 2 400 milliards par année serait nécessaire d’ici 2035, uniquement pour limiter le réchauffement à un maximum d’un degré et demi… et uniquement pour faire la transition dans le domaine de l’énergie. Ça n’inclut donc pas des détails comme la reforestation, l’adaptation des côtes à l’érosion ou l’adaptation des villes aux canicules.
En réalité, combien dépensons-nous en tout ? Tout dépendant de la méthode de calcul utilisée, les chiffres divergent. Selon le groupe de pression Climate Policy Initiative, l’ensemble des dépenses reliées au climat aurait été d’environ 520 milliards en 2017 (tout de même en hausse par rapport aux 360 milliards en 2012). Selon les chiffres de la Convention des Nations Unies sur les changements climatiques, le total aurait plutôt été de 681 milliards en 2016. Quelle que soit la vérité, une chose est claire : l’essentiel de cet argent est dépensé dans son pays d’origine : ce sont autrement dit les pays riches qui s’attellent à leur propre adaptation aux changements climatiques, ou qui subventionnent leurs propres industries, polluantes ou non.
Ce qui laisse la promesse d’un Fonds vert (Green Climate Fund) annoncé lors de la Conférence de Copenhague, il y a déjà 10 ans, très loin du compte. En théorie, les différents pays riches s’étaient alors engagés à atteindre des versements de 100 milliards par an à partir de 2020, au bénéfice des pays qui en auront le plus besoin. En réalité, c’était un vœu pieux, et les différents experts, bien qu’ayant du mal à s’entendre sur le total de ce qui a été versé jusqu’ici, s’entendent pour dire qu’il y a du chemin à faire.
« La raison d’être de ces 100 milliards, c’était de prouver une volonté, et pourvu que je puisse en juger il y a eu un manque de volonté de la part des pays riches pour s’attaquer aux changements climatiques, en particulier à l’adaptation », résume dans Nature Angelique Pouponneau, qui a été conseillère de plusieurs des pays les plus vulnérables dans le cadre de ces négociations internationales.
Le fait que le secteur de l’énergie soit ce qui semble obtenir la part du lion de ces aides financières associées au climat n’est d’ailleurs pas nécessairement un bon signe. Contribuer à remplacer des centrales au charbon par des centrales hydro-électriques, comme on l’a vu en Asie centrale, est certes un progrès, mais laisser de côté l’aide à l'agriculture pour l’adaptation aux nouveaux climats ou l'aide au remplacement des infrastructures routières, laisse présager des lendemains difficiles — et fait partie des critiques récurrentes adressées au Fonds vert.
Et c’est sans compter le fait que l’industrie des carburants fossiles continue d’être hautement subventionnée par les pays les plus riches : 400 milliards en 2018, notait dans son dernier rapport l’Agence internationale de l’énergie… deux fois plus que ce qui a été versé aux énergies renouvelables.