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La décision américaine, annoncée mercredi, d’autoriser une troisième dose du vaccin contre la Covid à partir du 20 septembre, est accueillie avec perplexité par de nombreux experts et même avec colère par certains, qui jugent le tout prématuré, et appuyé sur des données encore trop incomplètes.

En théorie, une troisième dose pourrait devenir nécessaire si les premiers vaccinés montraient, après un certain nombre de mois, que leurs anticorps ne réagissent plus aussi efficacement contre le coronavirus. C’est pourquoi on parle alors d’une dose « de rappel ». Certaines données préliminaires, notamment venues d’Israël, ont laissé croire ces dernières semaines qu’on commencerait à en voir les premiers signes, mais il est encore trop tôt pour conclure.

En théorie aussi, une troisième dose pourrait devenir nécessaire à cause d’un variant devant lequel les vaccins s’avéreraient peu efficaces. Là encore, des données ont laissé croire ces derniers jours que l’efficacité était en déclin face au variant Delta, mais il est trop tôt pour conclure. Une étude britannique parue jeudi ajoute de l’eau au moulin, avec des données hebdomadaires sur les tests PCR remontant à avril 2020.

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C'est que même si ces données préliminaires devaient être confirmées dans les prochaines semaines, il faudrait les analyser avec prudence: une étude peut par exemple démontrer que certains des vaccinés continuent d’être capables de transmettre le virus, mais cela ne signifie pas que la transmission est aussi grave qu’avant. Au contraire, les statistiques tendent pour l’instant à conclure que les cas graves de COVID —ceux qui conduisent à une hospitalisation, voire aux soins intensifs, sans parler des décès— se produisent de plus en plus chez les non-vaccinés. Autrement dit, la plupart des vaccinés qui sont, malgré tout, à nouveau porteurs du virus, ne sont atteints que de symptômes légers, ou pas de symptômes du tout.

À Washington, la justification cette semaine de l’imminence d’une troisième dose a été que des nouvelles données sur la baisse d’efficacité des vaccins de Pfizer et de Moderna publiées cette semaine « pourraient » signaler un déclin de la protection contre les formes graves de la maladie. Mais comme l’expliquait mercredi le magazine médical Stat, « pourraient » n’est « pas un mot très fort, spécialement pour appuyer une décision politique ».

Que les vaccins, de mois en mois, puissent fonctionner moins bien pour prévenir les formes légères de la maladie, « n’est pas un signe que les vaccins échouent », renchérit la spécialiste en vaccins Anne Durbin, de l’Université Johns Hopkins.

« Ces données soutiennent le fait de donner une dose additionnelle du vaccin aux personnes dont le système immunitaire est affaibli ou vivant dans des résidences pour personnes âgées. Mais pas au grand public », commente dans le New York Times la spécialiste en maladies infectieuses Céline Gounder, du Centre hospitalier Bellevue, à New York.

Une compilation des données préliminaires de sept États américains publiée par ailleurs mardi par le New York Times suggérait effectivement une hausse des infections chez les vaccinés en juillet, mais une hausse beaucoup moins élevée des hospitalisations et ce, en dépit de la propagation du variant Delta.

Ce mois-ci, une quatrième vague en Israël, pourtant le premier pays à avoir eu droit à une campagne massive de vaccination (78% des plus de 12 ans ont eu leurs deux doses), a semblé donner raison aux inquiets. Il pourrait s’agir du signal d’alarme comme quoi l’efficacité du vaccin diminue après sept ou huit mois, ou diminue face au Delta. Mais ça pourrait aussi être la combinaison du fait que les aînés, qui ont été les premiers vaccinés, ont un système immunitaire plus faible, et que la fin des mesures de distanciation sociale en juin, les a plus souvent exposés à des gens contaminés. Là-bas, une campagne d’injection d’une troisième dose chez les 50 ans et plus, a commencé la semaine dernière. La France et l’Allemagne l’envisagent.

Il est également possible que l’interruption des mesures sanitaires dans certains des sept États américains étudiés —le masque qui cesse d’être obligatoire à l’intérieur, par exemple— puisse expliquer une hausse du nombre de cas, y compris chez les vaccinés: avec davantage de contacts, le virus voyage plus —spécialement le variant Delta, plus contagieux. Et même si seule une petite proportion des millions de vaccinés s’avérait vulnérable, ça finirait par avoir un impact statistique.

S’ajoute à cela la question morale: est-il légitime de se tourner aussi vite vers une troisième dose alors que, dans plusieurs pays, la majeure partie de la population n’aura même pas une première dose avant 2022? Le 4 août, l’Organisation mondiale pour la santé (OMS) en appelait à un moratoire sur d’éventuelles troisièmes doses au moins jusqu’à la fin de septembre. Dans les pays à faible revenu, rappelle l’OMS, le pourcentage de gens qui n’ont eu qu’une seule dose avoisine pour l’instant les 1,5%. « Le fait que nous vaccinions des adultes en santé avec une dose de rappel est une vision à courte vue », commentait alors Médecins sans frontières.

Des doses de rappel sont « une moquerie » de l’équité vaccinale, dénonçait jeudi le directeur de l’OMS-Afrique, Matshidiso Moeti.

Une position partagée cette semaine en éditorial par la revue Nature: « dans une période de rareté des vaccins, le choix d’une troisième dose doit être guidé par des preuves de bénéfices, en prenant en considération le coût qu’aura le fait de retarder la distribution de vaccins aux personnes vulnérables des autres pays et à leurs travailleurs de la santé. Or, jusqu’ici, il y a peu de preuves que les doses de rappel soient nécessaires pour protéger les personnes pleinement vaccinées ».

« Choisir un bénéfice inconnu qui serait peut-être [une valeur ajoutée] pour une personne dans un pays riche, de préférence à un bénéfice massif, qui sauve la vie d’une personne ailleurs dans le monde, est une stratégie perdante, parce que de nouveaux variants vont inévitablement émerger dans des endroits où la propagation de la COVID-19 se poursuit sans obstacles ».

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