histoire-ULaval-Faculte-medecine.jpg

Qu’ont en commun la Société de biologie de Montréal (SBM), l’Acfas et la Faculté des sciences de l’Université de Montréal? Une convergence des efforts qui, il y a 100 ans, ont changé durablement le visage de la science qui, au Québec, se faisait jusqu’alors essentiellement en anglais.

« Nous sommes originaire du même embryon de la Faculté des sciences de l’Université de Montréal, même si nous sommes plus modestes », explique Daniel Rivest, le vice-président et coordonnateur de la SBM.

Avec son 89e congrès, qui commence le 9 mai à Québec, l’Acfas lance les festivités de son 100e anniversaire. Nommée à ses débuts, en 1923, Association canadienne-française pour l’avancement des sciences, devenue l’Association francophone pour le savoir de 2001 à 2019, et appelée simplement, depuis, « Acfas », l’association fait partie prenante du paysage de la recherche au Québec. Son congrès, qui réunit chaque année des milliers de chercheurs des sciences et des sciences sociales, rappelle l’énorme expansion, en 100 ans, de ces scientifiques que l’on appelait alors « canadiens français ».

Abonnez-vous à notre infolettre!

Pour ne rien rater de l'actualité scientifique et tout savoir sur nos efforts pour lutter contre les fausses nouvelles et la désinformation!

Mais une association moins connue l’avait précédée sur cette voie: la Société de biologie de Montréal. Fondée le 16 février 1922 par des médecins et des professeurs de l’Université de Montréal, dont le célèbre Frère Marie-Victorin, sa mission était dès le début de faire la promotion des sciences en français, « d’avoir de la recherche scientifique en français et de former des chercheurs québécois », explique Daniel Rivest, le vice-président et coordonnateur de la SBM.

Car au début du siècle dernier, la science au Québec est plutôt famélique… et en anglais. L’industrialisation pousse alors le gouvernement provincial à soutenir la science en français avec la création de bourses —plus de 650 seront décernées avec son premier programme de bourses d’études supérieures, entre 1920 et 1959, rappelle un article de la revue Affaires universitaires. « Les subventions et les bourses vont former nos futurs chercheurs et assurer un engouement pour la recherche expérimentale », poursuit M Rivest.

La recherche scientifique fait timidement son apparition au 19e siècle au sein des universités canadiennes. Elles se réforment pour devenir des lieux d’enseignement et de recherche. C’est dans ce contexte que naît en 1920, la Faculté des sciences de l’Université de Montréal, alors que cette dernière vient tout juste d’acquérir son indépendance de l’Université Laval.

Mais jusqu’à la fin du 19e siècle, il y avait encore peu de recherche en français, hormis certaines initiatives telle que la revue Le Naturaliste canadien, fondée en 1868 par le célèbre abbé Léon Provancher (1820-1892). La Société Provancher verra d’ailleurs le jour en 1919, nommée en son honneur.

Années 1920 : l'éveil de la science canadienne-française

Le 15 mai 1923, les fondateurs de la Société de biologie de Montréal —sous la gouverne du président, le médecin Léo Pariseau— rassemblent une vingtaine de personnes issues de diverses sociétés scientifiques du Québec pour fonder l’Acfas. Cette association vise à lier toutes les sociétés scientifiques du Canada français pour favoriser le développement et l’avancement de toutes les sciences.

« Le point de départ est un organisme à but non lucratif lancé par des bénévoles de l’Université de Montréal avec le soutien des gouvernements fédéral et provincial », résume Jean-Pierre Perreault, vice-recteur à la recherche et aux études supérieures à l’Université de Sherbrooke et président du conseil d’administration de l’Acfas.

Cette idée d’une association pour l’avancement des sciences sera portée par l’idée d’un nationalisme canadien-français, rappelait Yves Gingras, historien des sciences et professeur à l’Université du Québec à Montréal, dans un webinaire, en février dernier, pour le début des célébrations de la SBM.

Cela bâtira une communauté scientifique dont plusieurs noms résonnent encore, comme Léo Pariseau, le botaniste Jacques Rousseau, le biologiste Louis-Janvier Dalbis, l’économiste Édouard Montpetit et bien sûr le frère Marie-Victorin. Le défenseur des « petites sciences », les sciences naturelles – botanique, ornithologie, etc. – et auteur de la Flore Laurentienne (1935), sera le porte-étendard de cette émergence de la science canadienne-française.

Le co-fondateur du Jardin botanique de Montréal (1931) sera aussi l’un des grands pédagogues des sciences naturelles pour le Québec. « L’importance de connaître la biodiversité d’ici, de parler des plantes avec leurs bons noms et de faire connaître le territoire, de savoir quelle est notre richesse biologique mais aussi de bâtir des connaissances », souligne M Rivest.

De là viendra en 1931 la création des Cercles des jeunes naturalistes, par le frère Adrien Rivard – un mouvement voué à la diffusion des sciences naturelles auprès des jeunes et des familles. Il y aura 300 cercles dès 1932, rattachés à la Société canadienne d’histoire naturelle, dirigée alors par le Frère Marie-Victorin.

C’est aussi le début des conférences de l’Acfas, lancées dans les collèges classiques, pour faire la promotion des carrières scientifiques. On peut lire dans Le Devoir, en 1925 un texte de « propagande scientifique » écrit par Marie-Victorin, pour qui « le développement économique du Québec et son autonomie ne se fera qu’avec le développement scientifique ». Et ce sera aussi une période de création de revues savantes, pour les chercheurs —comme la Revue d’histoire de l’Amérique française, en 1947.

Après la Seconde guerre mondiale, explique Yves Gingras dans un entretien sur l’histoire de la recherche pour le Magazine de l’Acfas, il y aura un premier « contrat social » de la science qui mettra en avant un soutien national à la recherche scientifique. Ce que l’on a appelé  « la République de la science » qui durera environ 30 ans (1945-1975). Et qui été rendu possible parce que « la science sert la sécurité nationale et la santé publique et ne peut plus être laissée au mécénat et à l’entreprise privée ».

Années 1960 : soutenir les sciences

Commence alors une croissance exponentielle. « On récolte en 1960, ce qu’on semait en 1920-1930 », rappelle Yves Gingras, en reprenant les mots du botaniste Jacques Rousseau. Le développement scientifique du Québec d’alors provient de ce mouvement canadien-français en faveur des sciences.

En 1965, l’Acfas dépose un mémoire, Pour une politique scientifique au Québec, lors de son 33e congrès à l’Université de Montréal. Le chercheur en mathématiques Maurice L’Abbé souligne l’importance d’une politique audacieuse pour « rattraper le retard acquis en ce qui concerne la recherche scientifique et technologique ». Il y parle du « problème de la recherche scientifique au Canada français, c’est celui, non pas seulement de progresser, mais de provoquer une accélération (…) telle qu’elle nous permette de nous hausser rapidement à une situation normale, c’est-à-dire à une situation comparable à celle de nos compatriotes anglo-canadiens, mieux encore à celle de nos voisins de l’Ontario ».

Et cela passe, pour le futur vice-recteur à la recherche de l'Université de Montréal et directeur général du Conseil des sciences du Canada, par une action gouvernementale et des moyens financiers : « la recherche scientifique et technique peut être considérée comme un investissement national, et il est normal que l’État prenne ses responsabilités », surtout que « la politique canadienne à laquelle nos institutions sont soumises est une politique conçue et élaborée à Ottawa qui s’adapte beaucoup plus aux besoins de la majorité anglophone qu’à ceux de la minorité francophone du pays ».

Ralentissement de croissance scientifique

Dans les années ’70, cette envolée de la recherche connaît un temps d’arrêt suite aux deux chocs pétroliers et à une baisse de la croissance économique. Avec le désinvestissement de l’État, les universités connaitront des problèmes financiers, devront faire des choix entre leurs différents mandats.

Cette période de l’Histoire qu’on appelle les Trente glorieuses aura été « une période d’exception pour la recherche fondamentale », poursuit l’historien des sciences Yves Gingras. Après elle, les universités vont renouer avec l’industrie et créer avec elle des partenariats.

Cela va changer la manière de financer les travaux savants, en demandant aux chercheurs de remplir des demandes de subventions dont les orientations sont plus souvent ciblées pour répondre aux besoins du marché.

La modernité : entre partenariats et citoyens

Les années 1980 voient un retour de l’intérêt de ces associations pour la vulgarisation, qui avait entretemps été prise en main par des organismes distincts, des Expo-Sciences aux Débrouillards en passant par Québec Science.

La Société de biologie de Montréal va ainsi participer à l’ouverture du Musée d’histoire naturelle Georges-Préfontaine, mais aussi initier des partenariats avec le Parc-nature de la Pointe-aux-Prairies (1993).

Et on explore de nouvelles formes de partenariats. « Nous développons la « science citoyenne », nous voulons que le public contribue à la science. Et la nature est un bon lieu pour faire de la science et diffuser les connaissances », pense M Rivest.

Même si toute la programmation du centenaire de l’Acfas n’est pas encore ficelée, l’association veut en profiter pour souligner sa contribution à la science francophone. « Nous allons mettre en avant ceux qui font la recherche et aussi les liens entre la science et la société. L’intérêt grandissant pour cette histoire des sciences, c’est de suivre les grandes transitions et de comprendre comment s’est construit notre écosystème des connaissances », dit Jean-Pierre Perreault, président de l’Acfas.

L’importance de faire, de diffuser et de partager la recherche scientifique en français, est plus que jamais primordiale, comme l’a montré la crise de la COVID-19. « Il faut encourager le dialogue. La pandémie a fait réaliser l’importance et l’utilité des sciences aux citoyens. Elles sont plus que jamais les réponses aux grands enjeux et c’est notre devoir de propager la bonne nouvelle, d’informer et de réduire la distance entre l’université et la société », relève encore le Pr Perreault.

 

Photo: Laboratoire d'anatomie-pathologie et de bactériologie de l'Université Laval, 1914 / Archives de la Faculté de médecine de l'Université Laval et Dossier 100 ans de recherches, Acfas

Je donne
EN VEDETTE
Publicité

Les plus populaires

Appel à tous!
Publicité