« Nos choix, comme le tramway ou le 3e lien, vont avoir une influence sur la santé de la collectivité ». Celui qui disait ses mots pendant le colloque sur la Santé durable : vecteur d’un projet de société, au congrès de l’Acfas lundi, n’était pas un chercheur en santé, mais le maire de Québec, Bruno Marchand.
« Le développement de pistes cyclables rencontrera des résistances » mais « le « nous » doit passer avant le « je ». Nous sommes condamnés à l’interdépendance », assure-t-il.
Il rappelle que l’actuelle crise sanitaire a montré l’importance des changements institutionnels: « une récente étude montrait que les citoyens des États-Unis avaient perdu huit ans d’espérance de vie en raison de cette crise » —et qu’il faut penser plus large que la ville et sur un temps plus long qu’un mandat à la mairie.
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Une pensée plus large, c’était ce que proposait, lors de ce colloque, Ophélia Dysli-Jeanneret, du Service des sports et de l'activité physique d’Yverdon-les-Bains, en Suisse.
Aménager les villes pour rendre les personnes plus actives et en santé, répond ainsi aux directives de santé publique soutenues par de nombreux experts et par l’OMS. « Nous voulons sortir de la vision traditionnelle » —celle où le sport se fait dans un gym— pour « encourager nos citoyens à être actifs. Chacun devrait avoir un accès à une zone active —de l’activité douce, comme la marche— à 5 minutes de chez lui », résume-t-elle.
Des « balades ACTYV », en aménageant des parcours santé dans la ville, jusqu’aux « Mini Move » à l’intention des 0-2 ans et de leurs familles, en passant par une Course de la Bonne résolution qui se tient depuis 2018 qui se termine dans des bains thermaux de la ville ; les initiatives se multiplient, avec un souci d’améliorer aussi la végétalisation et la lutte contre les bruits urbains.
Et aussi, la lutte aux inégalités sociales, elle qui était au coeur du colloque: en utilisant la géographie pour cibler les populations les plus à risque de présenter une moins bonne santé. « L’idée n’est pas de pointer du doigt ces populations, mais plutôt de s’intéresser aux freins structurels. Car la santé n’est pas juste une question de choix individuels, il y a l’influence de notre voisinage. À commencer par l’exposition aux fast-food, qui varie d’un quartier à l’autre », rappelle le Dr Idris Guessous, du Service de médecine de premier recours des Hôpitaux universitaires de Genève, en Suisse. Il est aussi cofondateur du groupe de recherche GIRAPH (Geographic Information for Research and Analysis in Population Health), qui vise à intégrer l'analyse spatiale dans le domaine de la médecine et de la santé des populations.
À cette fin, il collecte actuellement des données sur les habitudes de vie de citoyens de Lausanne, afin de cartographier où se trouvent ceux qui présentent plus de problèmes liés au surpoids et au manque d’accès à des services. « Afin de pousser les politiciens à investir dans les changements structurels des villes », poursuit le Dr Guessous.
Mais pour en arriver là, il ne faut pas juste compter sur les politiciens, il faut créer des partenariats au niveau du citoyen. C’est ce à quoi s’intéressent Louise Potvin et Yves Bellavance avec leur projet de recherche sur « l'action intersectorielle locale ». « Il y a beaucoup d’inégalités et un accès variable aux ressources de santé d’un quartier à l’autre, d’où la nécessité d’animer une concertation pour faire changer les choses », relève M Bellavance, qui est président de la Coalition montréalaise des tables de quartiers (CMTQ).
Depuis 15 ans, la Chaire de recherche sur les approches communautaires et les inégalités dans le domaine de la santé, documente ce que font ces 32 tables de quartiers montréalaises en matière de lutte à la pauvreté et à l’exclusion. Entre la plus vieille (NDG, en 1942) et la plus récente (Outremont, l’an dernier), ces organismes visent à soutenir l’action locale des citoyens, en réunissant les groupes et les institutions et en trouvant des porteurs de projets.
« C’est la théorie de l’acteur-réseau », explique Louise Potvin, la titulaire de la Chaire, à l’Université de Montréal. « Ou plus simplement, faire en sorte qu’une initiative soit portée par un réseau chargé de traduire la vision commune en actions. » Ça va du verdissement jusqu’au soutien aux nouveaux parents et aux familles en passant par les réaménagements pour rendre les personnes plus actives.
Passer du « je » au « nous »
La santé durable serait donc un projet de société à « entamer tous ensemble », souligne encore le maire de Québec, Bruno Marchand. Il faut s’attaquer aux inégalités – 20 000 personnes n’auraient pas accès à un logement dans la capitale— tout autant qu’au manque d’accès aux soins ou aux transports en commun. Mais aussi à la qualité de vie: « il n’y a pas de santé durable sans prendre soin des espaces publics et sans passer par plus de verdissement, pour lutter contre les îlots de chaleur », soutient M Marchand.
Et c’est une sensibilisation qu’il importe peut-être de commencer jeune, est venue défendre Catherine Laprise, de l’Université du Québec à Chicoutimi, en décrivant le succès des « écoles nature » de Saguenay, au primaire et au secondaire. « Cette formation est née d’une préoccupation de l’environnement et de la volonté de développer l’adoption de comportements chez les jeunes, susceptibles d’améliorer leur respect des espèces naturelles mais aussi leur santé globale, par exemple le sommeil ou les allergies respiratoires », explique la titulaire de la Chaire sur l’étude des déterminants génétiques de l’asthme.
Membre de la Première nation Malécite -Wolastoqiyik Wahsipekuk, Stéphane Brière rappelle que la protection de l’environnement devrait être la priorité. « Il n’y a pas de meilleure médecine pour la nature physique et mentale que la nature », relève le guide trappeur du Bas-Saint-Laurent.
Alors que bon nombre des Premières nations connaissent des problèmes de santé (diabète en tête) et que le manque d’accès à l’eau potable reste un problème criant, M Brière rappelle néanmoins l’importance de collaborer. « Il faut bâtir des ponts avec les communautés. Il faut s’adresser aux gens de manière à ce qu’ils comprennent, sans grands mots de politiciens. S’adresser aux jeunes pour qu’ils éduquent leurs pairs. Mais aussi aux personnes les plus respectées, les aînées », note encore M Brière.
Une allocution bien accueillie par les participants du colloque qui ont souligné à quelques reprises dans la journée la difficulté de rejoindre les plus vulnérables et de les faire participer aux projets de santé. « L’implication citoyenne doit inclure tout le monde, en commençant par les jeunes, les aînés et membres des Premières nations », souligne Vicky Drapeau, la directrice scientifique de la Table de concertation en santé durable de l’Université Laval.
Et c’est sans compter que l’isolement social s’avère aussi dommageable pour notre santé que de fumer (et cela augmente le risque de mourir prématurément). Le simple fait d’avoir une personne à nos côtés aide au rétablissement, ajoute le Dr Antoine Boivin, titulaire de la Chaire sur le partenariat avec les patients et les communautés. Ce type de partenariat « nous permet de prendre soin les uns des autres, et même des soignants. Cette humanisation apaise l’impuissance, redonne du sens et de l’espoir mais aussi réduit les visites à l’urgence, ce qui réduit d’autant les frais de notre système de santé.»
Rejoindre les plus vulnérables
Mais ce n’est pas facile de rejoindre les plus vulnérables, rappelle Marielle M’Bangha. « J’ai voulu recréer le village qui m’avait tellement manqué à la naissance de mon enfant. Les immigrantes sont des femmes très isolées, qui se posent des questions sur les services offerts et ont aussi de grandes carences affectives, d’où l’importance de tisser un lien de confiance avec elles », relève la coordonnatrice et fondatrice du Service de référence en périnatalité pour les femmes immigrantes de Québec (SRPFIQ).
À travers le Projet ENGAGEMENT mis en place par les Fonds de recherche du Québec, Mme M’Bangha a été jumelée à la chercheuse de la faculté des sciences infirmières de l’Université Laval, Marie-Pierre Gagnon. Elles montent actuellement un projet pour promouvoir la littératie en santé numérique chez les futures mères immigrantes et leurs familles.
« Ce n’est pas facile de rejoindre les mères en pleine pandémie », note la chercheuse de VITAM – Centre de recherche en santé durable. Affilié au CIUSSS de la Capitale-Nationale, VITAM vise à contribuer à la promotion et à l’amélioration de la santé par la recherche intersectorielle et la collaboration de citoyens.
VITAM est aussi derrière la Rencontre Vivre et vieillir à Québec, qui se tient du 2 mai au 5 juin, dans la capitale. Ce nouveau rendez-vous artistique, culturel, communautaire et scientifique, se veut un incubateur d’initiatives collectives et inclusives sur le thème du vieillissement –«sans misérabilisme ni angélisme », comme l’habitat et l’environnement, le corps et la santé, la vie communautaire et les relations intergénérationnelles.