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Le cannabis et ses dérivés, particulièrement l’huile de cannabis, y sont présentés comme des traitements de choix pour les cancéreux. On y explique comment les cannabinoïdes — les molécules actives présentes dans le cannabis — éradiquent les cellules cancéreuses. Il suffirait d’en ingérer quotidiennement — ou d’en appliquer directement sur la tumeur s’il s’agit d’un cancer de la peau — pour supprimer la maladie, prétend-on. Témoignages à l’appui, on soutient que des centaines de personnes ont guéri « miraculeusement ».
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Malheureusement, il s’agit d’une grossière exagération des preuves scientifiques existantes sur les propriétés anticancérigènes des cannabinoïdes.
Ce que dit la science
Il ne fait aucun doute que les cannabinoïdes — naturels et synthétiques — sont des molécules biologiques intéressantes. Depuis les années 1970, les propriétés anticancéreuses des cannabinoïdes végétaux comme le tétrahydrocannabinol (THC), le cannabidiol (CBD) et le cannabinol (CBN) sont étudiées par les chercheurs. De nombreuses recherches scientifiques ont été publiées à leur sujet. Des cannabinoïdes de synthèse font également l’objet d’études.
Dans un article très complet, le Centre britannique de recherche sur le cancer (Cancer Research UK) résume les grandes lignes de ces découvertes sur les effets anti-cancer potentiels des cannabinoïdes. En gros, ceux-ci pourraient :
- Déclencher la mort cellulaire
- Arrêter la division des cellules
- Empêcher de nouveaux vaisseaux sanguins de devenir des tumeurs
- Réduire les chances que les cellules cancéreuses se propagent dans le corps
- Accélérer la « machine d’élimination des déchets » interne de la cellule — une procédure appelée autophagie — qui peut conduire à la mort cellulaire.
Le problème est qu’aucun de ces effets anti-cancer observés ne résulte d’études sur des humains. C’est pourquoi prétendre que ce corpus de recherches constitue une « preuve » que le cannabis ou les cannabinoïdes peuvent guérir ou traiter le cancer est tout simplement exagéré, soulignent les experts britanniques. Un avis partagé par le Dr David Roberge, chef du Département de radio-oncologie du CHUM (Centre hospitalier de l’Université de Montréal).
« Les recherches publiées à ce sujet sont des études dites précliniques. C’est-à-dire qu’elles sont effectuées sur des cellules cancéreuses ou sur des animaux en laboratoire », explique le spécialiste. « On ne peut pas extrapoler ces résultats aux êtres humains qui sont beaucoup plus complexes que des cellules dans une boîte de pétri ou qu’une souris ! »
Pas encore d’études sur les humains
À l’heure actuelle, l’utilisation du cannabis comme traitement des tumeurs malignes chez les humains n’a pas été étudiée, confirme-t-on sur le site Cancer.org, de l’Institut américain du cancer (National Cancer Institute) qui conclut que le poids de la preuve ne favorise tout simplement pas l’utilisation du cannabis comme traitement contre le cancer.
« La seule recherche sur des humains publiée à ce jour est une étude expérimentale de 2005, explique le Dr Roberge. Elle visait notamment à démontrer la sécurité d’une administration intracrânienne de THC, ainsi que ses effets inhibiteurs sur le glioblastome multiforme — une tumeur cérébrale agressive. Neuf personnes atteintes de ce cancer et en phase terminale ont reçu du THC directement dans leur cerveau. Leur tumeur a tout de même grandi et elles sont toutes éventuellement mortes. »
Encore beaucoup de recherches à faire
« Il n’est pas impossible que les cannabinoïdes aient une action sur les cellules cancéreuses, mais on ne l’a pas encore démontré. Il faudra aussi répondre à plusieurs questions importantes : quels sont les cannabinoïdes les plus efficaces, quel est le meilleur mode d’administration, quelle dose doit-on donner, quels types de tumeurs répondent le mieux à ces molécules, les cannabinoïdes synthétiques sont-ils supérieurs, devrait-on combiner ces substances chimiques avec d’autres médicaments, etc. », souligne le Dr Roberge.
Il existe également des indices que les cannabinoïdes peuvent avoir des effets indésirables sur le cancer. Par exemple, certains chercheurs ont constaté que des doses élevées de THC peuvent nuire aux cellules vasculaires essentielles, encourager les cellules cancéreuses à se développer ou avoir des effets différents en fonction de la dose et des niveaux de récepteurs cannabinoïdes présents sur les cellules cancéreuses.
Se méfier des allégations et des témoignages
Malgré des preuves insuffisantes, les allégations sur les avantages « curatifs » du cannabis circulent abondamment sur Internet. Le plus souvent, elles sont accompagnées de témoignages de personnes qui ont miraculeusement guéri leur cancer en consommant cette plante magique sous forme de bourgeon frais, de cannabis séché ou d’huile.
« Je comprends que les personnes qui reçoivent un diagnostic de cancer ou qui font face à un pronostic difficile soient tentées de croire à ces témoignages. Elles cherchent des solutions et elles tombent sur l’histoire d’une petite fille que personne ne connaît, qui a guéri de son cancer en consommant de l’huile de cannabis. Elles ont envie d’y croire ! Mais un témoignage — même s’il est vrai — n’est pas une preuve », tient à préciser l’oncologue qui se désole de constater que certains patients dilapident leurs précieuses ressources dans ce genre de traitement non validé par la science (et illégal).
« Il faut se méfier des produits miracles. Le cancer est une maladie complexe, parfois imprévisible. J’ai des patients dont les tumeurs n’ont pas grossi pendant 10 ans, sans qu’ils aient fait quelque chose de précis. S’ils avaient pris de l’huile de cannabis, ils diraient peut-être que c’est ça qui les a guéris, alors que ça n’aurait rien à voir… » Par ailleurs, le Dr Roberge prescrit parfois du cannabis à ses patients atteints du cancer pour atténuer les effets secondaires de la chimiothérapie, comme les nausées ou la perte d’appétit. Cette application thérapeutique est démontrée comme efficace par la littérature scientifique et est approuvée par Santé Canada.
« Les cannabinoïdes font partie des centaines de molécules à l’étude qui pourraient s’avérer efficaces dans les traitements contre le cancer. Est-ce qu’elles sont plus intéressantes que les autres ? Pas nécessairement. Seules des études pourront le déterminer », conclut le Dr Roberge.
Verdict
Pour l’instant, il n’y a pas suffisamment de preuves scientifiques qui démontrent que les cannabinoïdes, synthétiques ou naturels, peuvent traiter efficacement le cancer. Des recherches supplémentaires sont nécessaires afin de démontrer ces allégations.