Lyme-rougeur

Alors que la maladie de Lyme se traite par des antibiotiques pendant deux à quatre semaines, un petit groupe de gens proclame l’existence d’une forme chronique de cette maladie et, en France en 2016 puis au Québec ce mois-ci, cette idée a fait parler d’elle dans les médias. Le Détecteur de rumeurs ne tentera pas de donner toutes les réponses dans les prochains paragraphes. Il va plutôt proposer des outils au lecteur qui se sent perdu face à un argumentaire scientifique : comment faire un premier tri parmi des arguments contraires ?


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Quel que soit le sujet en science — maladie, exoplanètes, fonte des glaces, innovation technologique, etc. — la base pour valider une affirmation, c’est la publication d’une recherche. Une fois qu’elle est publiée, d’autres experts peuvent la lire, en analyser les données, pointer les forces et les faiblesses — et lancer d’autres recherches qui confirmeront ou infirmeront la première.

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En comparaison, une opinion, même si elle provient d’un éminent scientifique, n’aura jamais la même valeur. Surtout si elle a en face d’elle, non pas une seule recherche, mais cinq recherches, 10, 50, qui arrivent toutes aux mêmes conclusions.

Séparer les faits des opinions peut donc, pour les Détecteurs de rumeurs en herbe, s’avérer un exercice utile pour faire un premier tri dans des informations qui semblent contradictoires.

L’hypothèse

La maladie de Lyme est causée par une bactérie de la famille Borrelia, transmise par une tique, appelée aussi, en Amérique, « tique du chevreuil ». Un traitement aux antibiotiques de deux à quatre semaines est le plus souvent recommandé.

Or, s’il devait s’avérer exact qu’il existe une forme de la maladie de Lyme qui est chronique, cela voudrait donc dire que le traitement de deux à quatre semaines n’est pas parvenu à éradiquer la bactérie Borrelia. Une poignée de médecins et de lobbyistes qui défendent cette théorie proposent pour cette raison un traitement prolongé aux antibiotiques d’au moins six mois, voire des années.

Les faits

1) Une méta-analyse, c’est-à-dire une étude passant en revue une série d’études, est parue en 2009 dans la revue de la Société américaine de microbiologie. Les études que ses auteurs ont passées en revue portaient sur des animaux traités aux antibiotiques pendant la durée normalement prescrite. Aucune trace de la bactérie n’a pu ensuite être trouvée, que ce soit par des tests d’ADN, par des échantillons de sang cultivés en éprouvettes, par des transplantations de tissus sur des animaux sains, ou par d’autres méthodes.

2) Des études animales isolées ont obtenu, il est vrai, des résultats mitigés, trouvant parfois des traces de la bactérie dans les tissus prélevés après le traitement aux antibiotiques, mais sans qu’on puisse établir si ces bactéries étaient toujours vivantes avant le prélèvement. Et comme le soulignait une de ces études en 2017, il est difficile d’en tirer des conclusions vu « les variations dans les méthodologies, les méthodes de détection et les limitations des modèles » : trop petits groupes de singes rhésus ou extrapolations vers l’humain plus hasardeuses quand il s’agit d’études sur des souris.

3) Une autre méta-analyse, ciblant cette fois les humains, était parue en 2007 dans la revue Neurology. Les 37 études retenues s’intéressaient à un ensemble de symptômes neurologiques (méningite, encéphalopathie, etc.) dont certains sont regroupés sous l’étiquette « syndrome post-traitement de la maladie de Lyme ». Ces symptômes affectent une minorité de patients qui ont été traités pour la maladie de Lyme, le problème étant qu’après le traitement aux antibiotiques, plus aucune trace de la bactérie n’a été trouvée chez eux. Les chercheurs ne nient pas l’existence de ces symptômes : mais la cause, concluent-ils, ne peut pas être la bactérie.

4) Plusieurs des études précédemment mentionnées n’ont pas seulement conclu qu’un traitement de six mois ou plus aux antibiotiques était inutile, elles ont ajouté qu’il comportait des risques — dont la prolifération, chez le patient, d’autres bactéries qui développent progressivement une résistance aux antibiotiques — et pouvait entraîner des effets secondaires.

5) Par ailleurs, d’autres données scientifiques viennent enfoncer le clou lorsqu’on introduit un placebo. En 2008, est parue par exemple une revue de quatre études ayant en commun d’avoir été réalisées avec deux groupes et un placebo — c’est-à-dire que la moitié des participants diagnostiqués comme souffrant de « maladie chronique de Lyme » ont reçu un antibiotique et l’autre moitié, un faux médicament. Aucune différence n’a été notée entre les deux groupes — dans certains cas, jusqu’à 40 % des patients qui avaient reçu le faux médicament avaient déclaré se sentir mieux.

6) Enfin, même parmi les défenseurs d’une maladie chronique de Lyme, il n’y a pas consensus sur la façon de la diagnostiquer. Une analyse parue en 2007 dans le New  England Journal of Medicine, notait que la définition est « imprécise » et que le diagnostic « n’est souvent basé » que sur la subjectivité du médecin « plutôt que sur des critères cliniques bien définis ». Autrement dit, le diagnostic reposera plus souvent sur les symptômes que sur des analyses de laboratoire qui permettraient de prouver — ou non — la présence de la bactérie. Or, ces symptômes peuvent être de nature neurologique, comme ceux mentionnés plus haut, ou très vagues : fatigue, douleurs, troubles du sommeil…

Les opinions

1) Si ce n’est pas une bactérie qui est derrière les troubles neurologiques que chercheurs et cliniciens appellent « syndrome post-traitement de la maladie de Lyme », quelles pourraient être les autres causes ? Au fil des années, des études ont défendu entre autres la possibilité d’inflammations causées par des « antigènes résiduels » de bactéries mortes, des restes de tissus endommagés par les bactéries, ou une réaction excessive du système immunitaire à un cas de « mimétisme » — c’est-à-dire lorsqu’il confond un « ami » avec un « ennemi ». Aucune de ces hypothèses ne rallie une majorité.

2) Des défenseurs de l’idée d’une maladie chronique de Lyme ont formé dans certains pays des associations qui font du lobby auprès de leurs gouvernements respectifs afin qu’il reconnaisse l’existence de cette maladie.

3) Dans l’État de New York, un tel lobby a convaincu les législateurs d’adopter, en 2014, une loi ayant pour but d’empêcher le Bureau de l’État sur la conduite médicale d’enquêter sur un médecin qui aurait recommandé un traitement sur la maladie de Lyme « et autres maladies causées par des tiques » qui ne serait pas « universellement accepté ». Cela n’a toutefois pas empêché le Bureau, en 2017, de suspendre pour trois ans, pour « négligence » et « incompétence », le psychiatre Bernard Raxlen, qui s’est auto-proclamé expert en « maladie chronique de Lyme ».

4) La journaliste Isabelle Hachey citait la semaine dernière dans La Presse Alex Carignan, microbiologiste-infectiologue et chercheur à l’Université de Sherbrooke qui, à la suite d’entrevues critiquant cette hypothèse, aurait été insulté, menacé, harcelé dans un parc. « J’en suis même venu à craindre pour ma famille », écrit-il à la journaliste.

5) Une théorie complotiste fréquemment avancée est celle que la maladie chronique — voire l’ensemble de la maladie de Lyme — serait causée par des tiques mutantes échappées d’un laboratoire militaire secret de l’État de New York. Le laboratoire n’est pas si secret (Plum Island Animal Disease Center of New York) mais l’origine de cette rumeur est un livre publié en 2004 par un nommé Michael C. Carroll (Lab 257), qui a admis n’avoir aucune preuve de ce qu’il avait avancé.

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