L’accusation revient régulièrement, chaque fois qu’il est question de réduire nos émissions de gaz à effet de serre : la Chine, elle, ne déploierait aucun effort. Une accusation qui est à la fois inexacte et trompeuse, constate le Détecteur de rumeurs.
Cet article fait partie de la rubrique du Détecteur de rumeurs, cliquez ici pour les autres textes.
Abonnez-vous à notre infolettre!
Pour ne rien rater de l'actualité scientifique et tout savoir sur nos efforts pour lutter contre les fausses nouvelles et la désinformation!
Les émissions d’un petit joueur, comme le Québec ou le Canada, sont négligeables, entend-on souvent, par conséquent, à quoi bon nos efforts si le géant asiatique ne fait pas sa juste part ? L’argument n’est d’ailleurs pas limité à la Chine: dans une analyse publiée en 2020 sur les « discours » visant à justifier l’inaction climatique, des chercheurs classaient cet argument dans la catégorie whataboutism (qu’on pourrait traduire par « à-quoi-bon-isme »). Un sophisme visant à faire dévier une critique par un reproche afin de réorienter le débat en sa faveur.
Il est vrai que la Chine est le principal émetteur de dioxyde de carbone (CO2) et ce, bien avant le Canada. Cela s’explique entre autres par sa dépendance au charbon. La production d’électricité là-bas repose encore à 56 % sur cette source d’énergie très nocive pour le climat, comme le dénonçait Greenpeace cet été. À elle seule, la Chine représente plus de la moitié de la production mondiale d’électricité à partir du charbon.
Des bémols
La donne change cependant lorsqu’on calcule les émissions de gaz à effet de serre (GES) per capita. Les 1,4 milliard de Chinois relâchent chacun, en moyenne, 7,6 tonnes d’équivalent en CO2 par année. En comparaison, un Québécois typique est responsable de 9,9 tonnes d’équivalent en CO2 par année et un Canadien, de 15,4 tonnes.
La même logique vaut lorsqu’on examine le problème sous l’angle de la responsabilité historique au réchauffement planétaire —c’est-à-dire quels pays ont le plus contribué au réchauffement actuel. Sur ce plan, il faut jeter la pierre aux États-Unis, responsables de l'émission plus de 509 gigatonnes d'équivalent en CO2 depuis 1850.
Par ailleurs, la façon dont on effectue le calcul des émissions de CO2 ne tient généralement pas compte de la délocalisation de ces émissions. La Chine est ainsi responsable des émissions de GES nécessaires à la production d’une grande quantité de biens manufacturés... mais qui sont consommés à l’étranger. La Chine représente en effet le tiers de la production manufacturière mondiale, ce qui revient à dire qu’elle est l’usine d’une partie du reste du monde.
Si chaque bien qu’on achète près de chez nous était taxé en fonction du contenu en carbone qu’a engendré sa production et son transport, le portrait serait donc tout autre. Ce serait « une des meilleures façons de mettre fin à la délocalisation des émissions de GES », commentait l’an dernier, à l’ouverture de la COP26, Guy Saint-Jacques, ambassadeur du Canada en Chine de 2012 à 2016. « Comme le bien importé coûterait plus cher, ça nous inciterait à produire plus proche. »
Des efforts bien réels
Dans les faits, la Chine fait preuve de plus d’ambition que plusieurs pays dans sa quête pour atteindre un pic d’émissions vers 2030 et elle s’est fixé un objectif de neutralité carbone d’ici 2060. C’est l’un des endroits de la planète où la capacité de production d’énergies renouvelables, toutes sources confondues, est en plus forte hausse. Le pays est de loin le plus gros producteur mondial d’énergie solaire et il multiplie les projets de réacteurs nucléaires —il est responsable de l’ouverture de plus de la moitié des nouvelles centrales nucléaires dans le monde entre 2002 et 2021.
Cultiver une aura « verte » s’inscrit de plus dans une volonté politique de faire de la Chine une société dite écologique socialiste. Pour le Parti communiste chinois, c’est une manière de redorer l’image du pays à l’international, mais au-delà de l’idéologie, c’est aussi une façon de faire oublier des épisodes peu glorieux pour le régime, comme ceux de pollution atmosphérique suffocante qui ont affecté la capitale il y a une décennie. S’ajoute à cela le fait que la Chine, elle aussi, a dû faire face cet été, à l’instar de l’Europe, à des canicules extrêmes.
Verdict
Accusation injuste. Il est trop tôt pour dire si la Chine atteindra ses objectifs de réduction des GES, mais en attendant, elle investit dans sa transition énergétique à un niveau que lui envieraient bien des pays.