La nouvelle qui est parue dimanche et lundi, selon laquelle « la COVID serait issue d’une fuite de laboratoire », illustre bien la difficulté à vulgariser l’incertitude, en science.
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D’emblée, le titre « la COVID serait issue d’une fuite de laboratoire » ne traduit pas du tout le contenu de la nouvelle. Ce qui a fait l’objet d’une fuite dans deux médias américains, c’est uniquement un rapport émanant d’une agence du gouvernement américain —le ministère de l’Energie, qui chapeaute les laboratoires du gouvernement. Un rapport dont la conclusion est beaucoup plus prudente que ce que le titre suggère. Et qui s’inscrit parmi une série d’autres rapports, dont la plupart contredisent celui-ci.
Il y a plus de rapports qui penchent vers l’autre hypothèse
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Le premier problème en effet, c’est que cinq autres rapports publiés depuis 2021 par ce qu’on appelle la communauté du renseignement des États-Unis, vont dans la direction opposée au rapport du ministère de l’Energie.
Tous ces documents ont leurs origines dans une demande du président Biden en 2021, auprès de ces agences ou départements du gouvernement, pour qu’ils publient leurs jugements sur l’origine du coronavirus : croient-ils qu’il s’agit d’une fuite de laboratoire ou d’une origine naturelle? Ces rapports n’ont pas été rendus publics. Mais différents médias convergent pour dire que, jusqu’ici:
- cinq penchent du côté d’une origine naturelle du virus, au marché Huanan de Wuhan;
- deux penchent à présent du côté de l’hypothèse d’une fuite de laboratoire, à l’Institut de virologie de Wuhan;
- trois considèrent les données insuffisantes pour se prononcer.
Un faible niveau de confiance
Le deuxième problème, c’est que le rapport du ministère de l’Énergie précise que sa conclusion se base sur « un faible niveau de confiance » (low confidence).
Dans le jargon de la communauté américaine du renseignement (intelligence community), cela veut dire que « les analystes questionnent la crédibilité ou la plausibilité de l’information, ou qu’ils sont préoccupés par [la crédibilité de] leurs sources ». Il y a trois niveaux possibles de confiance: faible, modéré et élevé. Celui-ci est donc le plus bas.
En conséquence, tous ceux qui ont titré « La fuite de labo, origine probable de la pandémie » (le Wall Street Journal a été le premier à publier ce scoop, dimanche) ou « Une fuite de laboratoire « très probablement » à l’origine de la pandémie, selon un ministère américain » (TF1 Info) sont dans l’erreur. Le titre plus juste, quoique beaucoup moins accrocheur, aurait pu être « Un nouveau rapport sur l’origine de la COVID privilégie la théorie de la fuite de labo, mais reconnaît que ses sources sont peu fiables ».
Ou encore, « les agences du gouvernement américain sont divisées sur la question ».
Il faut enfin rappeler qu’on parle ici d’un rapport dont l’objectif est de fournir un jugement : un état de la situation telle que l’évaluent les experts du renseignement. Il n’est pas clair si le document s’appuie sur de nouvelles données, parce que même les journalistes du Wall Street Journal ne l’ont pas lu: ils ont seulement parlé à des gens qui l’ont lu —on ne dit pas qui. Le reportage n’identifie pas des études ou des experts qui auraient conduit les auteurs du rapport à pencher vers l’hypothèse de la fuite de laboratoire.
Qu’en disent les données connues?
En comparaison, les données les plus solides demeurent celles de trois études indépendantes et de grande envergure parues l’an dernier. L’une a identifié deux contaminations survenues séparément chez deux personnes distinctes au marché des produits de la mer de Huanan, en novembre ou décembre 2019. Les deux autres études, dont une est ensuite parue dans Science en juillet 2022, vont jusqu’à identifier la partie ouest du marché comme le point d’origine. Le tout s’appuie sur 1380 « échantillons environnementaux » récoltés dans ou autour du marché au début de 2020, un séquençage des gènes des plus anciens échantillons connus du virus, des cartes des étalages du marché et des données de géolocalisation des plus anciens patients contaminés de la ville de Wuhan.
L’une des auteures de l’étude parue dans Science, la virologue (spécialiste des virus) Angela Rasmussen, réagissait le 26 février au brouhaha créé par le rapport du ministère de l’Énergie: « les virus ne sont pas imaginés ou créés par ordinateur », rappelle-t-elle. Si le SRAS-CoV-2 était né d’un laboratoire, il y aurait des traces de certaines des expériences antérieures ayant mené à ce « mutant », ou bien des hypothèses valides expliquant sa filiation. « Malgré trois années de recherches de ces preuves, elles ne se sont pas matérialisées », tandis que les preuves soutenant une origine naturelle, ou zoonose, ont continué de s’accumuler.
Une fuite motivée?
Les observateurs de la scène politique américaine n’ont pas manqué de souligner que cette fuite survient la semaine même où la nouvelle majorité républicaine à la Chambre des représentants doit commencer à promouvoir « sa » théorie, soit celle d’une fuite de laboratoire dont les Chinois sont responsables. Le comité sur les relations Chine-USA commençait ses travaux mardi, tandis que le sous-comité sur le coronavirus commence les siens en mars. Parmi les membres de ce dernier comité, on note des élus républicains qui ont déclaré que le variant Omicron était un canular du parti démocrate, ou que les vaccins tuent plus que la COVID.
Même la page éditoriale du Wall Street Journal a admis que l’imminence de ces audiences « pouvait expliquer le moment et possiblement l’impulsion pour la fuite ».
Photo: Wave Break Media Ltd / Dreamstime