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La compagnie Particle6 a annoncé récemment la création de Tilly Norwood, une « actrice » de cinéma virtuelle générée grâce à l’IA. Le Détecteur de rumeurs a voulu mieux comprendre si les réactions indignées de l’industrie du cinéma et de la communauté artistique étaient de mise.


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Un peu partout dans les médias, Tilly Norwood a été présentée comme la future Scarlett Johansson ou Natalie Portman. Alors que le Journal de Québec titrait « “Mon Dieu, on est foutus” : Emily Blunt est “terrifiée” par l’actrice 100 % IA », Le Devoir titrait « Une actrice entièrement créée par l’IA indigne Hollywood ».

C’est lors du festival du film de Zurich, à la fin septembre, que la compagnie Particle6, qui produit des contenus vidéo grâce à l’IA, a lancé ce qu’elle appelle son nouveau studio de talents, Xicoia. Tilly Norwood, qui est le premier personnage créé par Xicoia, avait déjà eu droit à un lancement sur différentes plateformes dont TikTok, Instagram et YouTube, rapportait le magazine web Deadline le 25 septembre.

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Xicoia explique vouloir générer une quarantaine de personnages qui cohabiteraient dans le même univers. Ceux-ci auront leur propre histoire et leur propre personnalité. Le but de l’entreprise est de produire des icônes virtuelles qui ne vieillissent pas et qui pourraient alimenter sans se fatiguer une grande communauté d’admirateurs. Ce qui n’est pas sans rappeler les influenceurs virtuels qui ont vu le jour ces dernières années comme Miquela et Aitana Lopez.

Est-ce un coup de marketing?

Eline Van Der Velden, la PDG de Particle6, a affirmé à Zurich que Tilly Norwood avait attiré l’attention de plusieurs agences d’acteurs et que certaines souhaitaient même la représenter, rapportait le magazine Variety le 28 septembre.

Même si Van der Velden n’a pas donné de détails sur ces agences, cette affirmation a été suffisante pour créer un buzz médiatique, soulignait le journaliste Charles Pulliam-Moore qui s’intéresse au cinéma, à la télé et à la culture pop, dans un article du magazine The Verge.

Une opinion partagée par le critique de cinéma Witney Seibold. Selon lui, cette affirmation aurait été faite afin de générer plus de publicité autour de Xicoia, écrivait-il le 29 septembre.

Est-ce une actrice?

Pour Charles Pulliam-Moore, il est de plus intellectuellement malhonnête d’utiliser le terme « actrice » pour parler de Tilly Norwood. Selon lui, elle n’est rien de plus qu’un avatar animé. De fait, Particle6 emploie également sur son site le terme anglais « avatar AI » ou « avatar numérique hyperréaliste ».

Pour l’instant, Tilly Norwood n’apparaît dans aucun long métrage ou série télé. On l’aperçoit seulement dans quelques plans d’une courte vidéo produite par Particle6. Celle-ci met en scène une multitude d’autres personnages, eux aussi générés par l’IA, et ressemble en fait à un court métrage d’animation hyperréaliste.

Dans une publication sur le compte Instagram de Tilly Norwood, Eline Van Der Velden a tenu à remettre elle-même les pendules à l’heure. Elle y souligne que « [Tilly] n’est pas un substitut d’être humain, mais plutôt une œuvre créative ». Elle la compare à une animation, une marionnette ou un effet spécial numérique.

Est-ce une nouvelle façon de faire des films?

Ceux qui observent l’évolution de l’IA le voyaient venir : en 2024, Massimo Marcolivio, un professionnel qui s’intéresse à l’impact des technologies numériques, écrivait qu’à court terme, l’IA ne changerait pas la façon de produire des films. Selon lui, les générateurs de séquence vidéo ne sont pas très pratiques parce que les requêtes doivent être sous forme de texte et qu’il est difficile de décrire le mouvement avec des mots.

Mais l’IA offre de nouvelles possibilités pour la conception d’effets spéciaux numériques, insistaient deux chercheurs grecs en informatique dans une revue de la littérature sur la transformation du monde du cinéma par l’IA parue en juin 2025. Autant au cinéma que dans les jeux vidéo, cette technologie permet d’éditer les environnements ou les personnages et de créer des animations plus réalistes.

Dans un article publié en avril 2025 dans le magazine Rolling Stone, la réalisatrice Victoria Bousis rappelait que l’IA a déjà commencé à transformer les acteurs qu’on voit à l’écran. Elle donne l’exemple de Harrison Ford qu’on a rajeunit pour le dernier film de la série Indiana Jones en 2023, ou de l’acteur Peter Cushing, décédé en 1994, qu’on a ramené à la vie dans le film Rogue One de la série Star Wars en 2016.

L’industrie est-elle menacée?

Même si nous ne sommes pas près de voir un film avec une distribution entière de personnages générés par l’IA, cette nouvelle technologie est en train de changer radicalement l’industrie du cinéma et de la télévision, écrivaient les auteurs grecs en 2025.

L’IA peut déjà être utilisée à l’étape de la rédaction des scénarios et de la sélection des acteurs. Elle peut aussi faire certaines tâches qui étaient autrefois réservées aux éditeurs et aux spécialistes des effets spéciaux. Ces artistes sont donc particulièrement vulnérables, écrivaient en 2024 des chercheurs australiens dans un article de vulgarisation du site universitaire The Conversation

Quant aux acteurs, plutôt que d’être carrément remplacés par Tilly Norwood ou ses semblables, certains craignent que les studios ne les paient qu’une seule journée pour les numériser et que leur copie soit ensuite utilisée dans une multitude d’autres films, séries télé ou jeux vidéo, sans compensation. C’est ce que soulignait dès 2024 la professeure Tanine Allison dans un article portant sur les acteurs générés par l’IA. Cette inquiétude avait été au centre des préoccupations du syndicat des acteurs (Screen Actors Guild-American Federation of Television and Radio Artists) lors de leur grève en 2023.

Verdict

Le personnage de Tilly Norwod n’est pas une actrice, mais un personnage animé généré grâce à l’IA. Elle ne remplacera pas les vrais acteurs de sitôt, mais cette technologie soulève des questions sur l’avenir de l’industrie du cinéma et de la télévision.

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