communication.jpg
Imaginez un journaliste qui dirait à des scientifiques: «pour intéresser un plus large public, vous devez être racoleur». Il se ferait lancer des tomates. Mais si ça vient d’un scientifique, ça passe comme dans du beurre. Du moins, dans un congrès où je viens de vivre quelques journées intenses.

C’était ma 6e visite depuis 2002 au congrès annuel de l’Association américaine pour l’avancement des sciences (AAAS) et une des choses qui me fascine depuis quelques années, c’est d’y entendre des scientifiques expliquer à leurs pairs des choses qui nous paraissent tellement évidentes à nous, journalistes: vous devez vous ajuster différemment pour chaque audience. Limitez-vous à un seul message. Le message le plus simple possible. L’auditoire a une capacité d’attention limitée. Il faut établir un rapport de proximité.

Abonnez-vous à notre infolettre!

Pour ne rien rater de l'actualité scientifique et tout savoir sur nos efforts pour lutter contre les fausses nouvelles et la désinformation!

Il y a 10 ans, quand il y avait un journaliste de service sur une telle table ronde, l’accueil était poli, mais l’invité jurait dans le décor. Aujourd’hui, l’auditoire en redemande.

Ou du moins, l’AAAS en redemande. Nous avons été quelques-uns en fin de semaine à faire la remarque entre nous que dans cette édition 2013, la thématique communication occupait un espace encore plus large que d’habitude. Peut-être même trop large: pourquoi deux ateliers sur les médias sociaux, pourquoi cette insistance sur les difficultés à communiquer l’environnement?

Ne vous méprenez pas, ça n’en est pas moins un congrès intellectuellement stimulant pour un journaliste. Quatre chercheurs de quatre disciplines différentes sur un même panel, il n’y a qu’à l’AAAS qu’on puisse voir ça à répétition. Et en plus d’être souvent des vedettes dans leur micro-spécialité, c’est à croire qu’ils sont choisis pour leurs talents de communicateurs. Rares sont en effet les conférenciers pris en flagrant délit de discours monotonal ou de Power Point en surcharge textuelle.

Or, cette insistance sur la communication reflète peut-être une tendance lourde dont les blogues des années 2000 auront représenté un signal d’alarme: après des décennies passées à se plaindre des médiocres talents de vulgarisateurs des scientifiques, un grand nombre d’universités et d’institutions ont pris le taureau par les cornes, au point où on commence peut-être à en remarquer les effets. Du moins, dans le monde anglophone.

Et si je parle de signal d’alarme, c’est parce que les journalistes risquent d’en pâtir s’ils ne s’y préparent pas. Non pas en raison de cette équation simpliste selon laquelle les blogueurs remplaceraient les journalistes scientifiques... puisque dans certains médias, il n’y a plus personne à remplacer! Le public curieux a donc tout loisir de chercher sur Internet l’auteur ou le blogueur ou le vidéaste qui répond à ses attentes —et s’il s’agit d’un scientifique qui suit l’actualité et vulgarise bien, pourquoi l’internaute chercherait-il à tout prix un journaliste?

Dans l’atelier consacré dimanche aux 50 ans du Printemps silencieux de Rachel Carson, cette biologiste et journaliste américaine dont on dit qu’elle a lancé le mouvement environnemental, un des conférenciers demandait: pourrions-nous avoir une Rachel Carson aujourd’hui? Et la réponse était: en science, sûrement, parce que des scientifiques capables de communiquer aussi bien qu’elle, tout en jouissant d’une solide crédibilité, ça se trouve. Mais en journalisme, peut-être pas: parce que même les journalistes qui font de l’excellent travail ont rarement loisir de commettre de longues analyses et d’inscrire leurs réflexions dans le long terme, ce qui était une des forces de Carson.

D’un autre côté, ce que cet atelier ne disait pas, parce que ça l’aurait éloigné de son sujet, c’est qu’il est possible d’imaginer des journalistes actuels qui, dans un futur proche, joueront davantage dans les plates-bandes de Rachel Carson, en sortant de leur manche la carte de la subjectivité, de l’indignation, de l’implication sociale. Des profs et des vétérans du journalisme «traditionnel» hurleront, mais le modèle traditionnel a été tellement écorné depuis deux décennies —la multiplication des chroniques d’humeur, et des spécialisations, et des contrats précaires— qu’il serait peut-être temps d’y aller d’une métaphore biologique: la survie d’une espèce réside parfois dans son hybridation avec une autre. Cette autre, à l’AAAS, elle me semblait prête à bouffer des kilomètres.

Je donne