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Samedi dernier, pour la première fois, j’ai eu à prononcer l’éloge funèbre d’un ami au nom de ses collègues et amis scientifiques. Ce fut l’une des choses les plus difficiles de ma vie, même en ayant une semaine pour me préparer. Même après avoir pratiqué à plus de 200 reprises, dire les simples mots « Stéphane était mon ami. », me faisait venir les larmes aux yeux, si bien que j’ai fini par arrêter de lutter.

Il faut dire que son décès, tout aussi inattendu qu’inexpliqué, a choqué tous ceux qui le connaissaient. Stéphane Dumas était un gentilhomme à l’esprit vif et curieux. Tenant plus du naturaliste du XIXe siècle que du scientifique moderne.

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Je l’ai connu au baccalauréat en physique et nous sommes devenus amis dès les premiers jours, Il a été mon meilleur ami pendant la majorité des 25 années qui ont suivies. Ensemble nous avons participé à la rédaction du Défiscience, le journal irrévérencieux et complètement déjanté des étudiants en Sciences et Génie de l’Université Laval, qui était alors contrôlé par les étudiants en physique.

Stéphane était un véritable génie de l’informatique, programmant dans plusieurs langages aussi horribles que l’APL ou le FORTRAN. C’était aussi la personne à voir si l'on avait un problème en informatique. Il a aidé beaucoup de monde à passer à travers les problèmes logiciels et la programmation. Il s’occupait des ordinateurs du département, ce qui lui a valu de traîner un trousseau de clés gigantesque qui était sa marque de commerce.

C’était aussi un fan fini de science-fiction, en particulier de Star Trek. Il connaissait tout sur la série. Je l’ai déjà entendu discuter de la signification de certains mots en Klingon avec un autre ami. Son surnom était Mr Spock et il prétendait avoir le sang vert. En fait, c’était probablement la saine couleur des gens qui passent trop de temps devant les écrans et pas assez au Soleil.

Cependant, malgré ses talents en informatiques, Stéphane en avait arraché au bacc, de sorte qu’il décida d’aller travailler dans l’industrie et quelque temps plus tard, au Centre de Recherche de la Défense à Valcartier.

Ce qui lui a d’ailleurs donné l’occasion de me sauver les fesses. En effet, après le retour de mon stage à Hawaï, je lui avais mentionné que j’avais trouvé une vulnérabilité dans la sécurité du réseau informatique de la défense. En voulant lui faire la démonstration du problème, il ne s’était apparemment rien passé. Cependant, à mon insu, la tâche avait continué de rouler sur mon ordi. Sans le savoir, je faisais une attaque sur le réseau informatique du CRDV ! Stéphane avait réussi à convaincre ses collègues que c’était accidentel et de me rejoindre à temps avant que la GRC ne m’embarque !

À la même époque, Stéphane était toujours aussi maniaque de science-fiction et m’avait convaincu d’écrire quelques nouvelles pour le journal de son club. Dans ce contexte, il avait participé à l’organisation du Festival de la BD de Québec. Nous avions aussi travaillé tous les deux sur une sorte de jeu d’aventure spatial.

Plus tard, après mon doctorat, je me suis trouvé moi aussi à travailler au CRDV. Cela nous donnait l’occasion de discuter tous les midis avec des collègues sur des sujets très variés. C’est à cette époque que je l’avais enrôlé dans la conception d’un message qui a été transmis en direction de potentielles civilisations extra-terrestres. Pour Stéphane, ce fut le début d’une grande démarche scientifique.

Ami fidèle, le jour de mon mariage, il est arrivé bien avant les autres et m’a aidé à passer le temps avant l’arrivée de la mariée, qui avait trouvé le moyen d’arriver en retard.

Bien que Stéphane fût très bon dans son travail au ministère de la Défense, il se sentait un peu las de cet emploi. De sorte que quelques années plus tard, alors qu'il voulait réorienter sa carrière, je lui ai proposé de faire une maîtrise en astrobiologie, que j’ai codirigée.

C’était l'une des premières au Québec dans ce domaine. Son travail portait sur la détection de bactéries endolithiques par spectroscopie infrarouge. Il avait alors travaillé sur l’analyse de spectre et le traitement de signal. Pour lui, cette recherche fut un élément déclencheur. Il comprit alors qu’il avait les compétences pour être un scientifique. Lui qui avait tant dû travailler pour faire ses études brisa ses dernières barrières psychologiques.

Alors que je me suis progressivement éloigné de la recherche d’intelligence extra-terrestre et de l’astrobiologie, Stéphane, lui, a persévéré. Il est devenu un « gentilhomme scientifique », s’investissant beaucoup dans la recherche d’intelligence extra-terrestre à un niveau que je viens juste de découvrir.

Au cours des années, Stéphane a fait plusieurs contributions importantes au domaine du SETI. En plus de nos travaux conjoints, Stéphane a étudié les applications des techniques de cryptanalyse dans le décodage d’éventuels messages extra-terrestres. Il participa à de nombreuses conférences scientifiques et débats publics, qui l’amenèrent à voyager de par le monde. Il visita le radiotélescope d’Arecibo, visita les archives de l’observatoire de Pukulvo et fut même invité par la Royal Society.

Plus récemment, Stéphane avait fait des travaux importants sur de nouveaux algorithmes de détection basés sur les transformations de Karhunen–Loève, pour lesquels il avait développé des algorithmes ultra-performants. Des algorithmes qui devaient être intégrés à la prochaine génération de détecteurs SETI.

De plus, il avait aussi beaucoup travaillé sur l’histoire du SETI colligeant des documents rares depuis des années. Il avait essentiellement compilé tout ce qui avait été écrit depuis toujours sur le sujet. Ce printemps, il avait publié une liste de ces articles de 277 pages, contenant plus de 5000 entrées.

Il était devenu un membre très actif de la communauté SETI, comme membre du groupe de travail de la recherche d’intelligence extra-terrestre de l’Académie Internationale d’astronautique et coordonnateur régional pour SETI League. De sorte que l’annonce de son décès a créé une commotion et une petite panique dans la communauté scientifique, parce qu’il est parti en laissant plusieurs travaux importants inachevés. Des sommités du domaine comme Jill Tarter, Paul Such, Seth Shostak, Andre Siemion, Alexander Zaitsev, ainsi que Claudio Maccone ont tous été attristés par son décès subit.

En marge de ces activités. Stéphane avait aussi beaucoup collaboré à la popularisation et à la communication scientifique par le biais de la Société Royale d’Astronomie du Canada, grâce à Expo-Science ou au programme « Les innovateurs à l’école ».

Ces dernières années, nous nous sommes un peu perdus de vue. Stéphane étant devenu autonome « scientifiquement », il me consultait de moins en moins. D’ailleurs, il n’était pas chaud à l’idée de concevoir un nouveau message pour le projet Breakthrough Message, me disant ne pas être intéressé par le concours, si ce n’est que pour être membre du jury. Pour la première fois en plus de 25 ans, Stéphane venait de refuser de participer à un de mes projets. Sur le coup j’en fus un peu choqué, mais j’ai rapidement compris que c’était surtout un signe de maturité intellectuelle. Stéphane était désormais lui aussi un scientifique. Maintenant, il jouerait le jeu selon ses termes.

Son dernier exploit dans le domaine du SETI fut le décodage d’un message fictif conçu par l’astrophysicien René Heller, qui lui prit moins d’une heure incluant le temps pour écrire le code informatique nécessaire !

La dernière chose que Stéphane fit pour moi est de m’aider à écrire la conclusion de son éloge funèbre. En effet, dans notre album de finissants, Stéphane n’avait écrit que quelques phrases, donc ces deux dernières :

Ce que je fais est la meilleure chose que j’ai faite. Où je vais est de loin le meilleur endroit de repos que je connaisse.
On ne peut rêver meilleure conclusion.
Je donne